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Excursion dans la Cilicie Trachée. — Lamas. — Le rocher du Fusil. — Elœusa. — Un orage dans le Taurus. — Sélefké (Séleucie) ; ruines ; irrigations ; apiculture. — Un Turc consul d’Angleterre. — Un gouverneur peu hospitalier.

Après avoir côtoyé le rivage de la mer depuis Mersine, port de Tarsous, jusqu’à Lamas, nous atteignîmes la base des montagnes qui en cet endroit sont baignées par la mer. Une petite rivière, que Strabon appelle le Lamos, marquait dans l’antiquité la limite des deux Cilicies. Grâce à l’extrême sécheresse qui régnait depuis plusieurs mois, nous pûmes traverser le Lamas-Sou sans trop de difficultés, car ses eaux étaient très-basses.

Vue de Sélefké (Séleucie), dans la Cilicie Trachée. — Dessin de Grandsire d’après M. V. Langlois.

Nous passâmes la nuit au village de Lamas, l’ancienne Lamos, autrefois capitale de la Lamotide, et siége d’un évêché dès les premiers siècles de l’ère chrétienne. Lamas est aujourd’hui le chef-lieu d’un district, qui est administré par un aga. Le jour suivant, nous nous trouvâmes en présence d’un bras du Lamas-Son, dont le nom populaire est Deli-Sou (Eau-Folle), désignation habituelle que les Turks donnent à tous les torrents sans exception ; j’ai compté pendant mon voyage en Karamanie plus de soixante Deli-Sou. Cette excursion devait me procurer l’occasion de vérifier l’exactitude d’un renseignement assez curieux que l’on m’avait donné à Ichme.

Près de l’embouchure de Deli Sou, on voit, m’avait-on dit, un rocher à pic sans aspérité aucune, et sur lequel sont appendues des armes antiques à une grande hauteur. Une tradition voulait que ces armes fussent un fusil et un sabre. Dès que je me fus fait indiquer l’endroit en question, j’examinai avec ma longue-vue ces objets, et je reconnus bientôt que, dans une légère anfractuosité, on avait en effet déposé un arc et des flèches. Quel est l’audacieux mortel qui se fit suspendre du haut du rocher en cet endroit pour y déposer ses armes ? C’est ce que ne disent ni la tradition, ni les gens du pays, qui furent très-étonnés de voir que, contrairement à leur avis, je repoussais toute intervention surnaturelle. Cependant, comme ce trophée m’intriguait au plus haut degré, je résolus de tirer à balle sur l’endroit même où il était fixé. Malgré la sûreté de mon tir, la distance où j’étais ne me permit pas de déplacer le bois de l’arc, qui était incrusté, et de distinguer un objet qui me parut être la poignée d’un glaive. Force me fut de renoncer à mon désir de m’approprier le trophée ou ex-voto qui a fait donner au rocher le nom de Téfingue-Dagh (rocher du Fusil).

Ruines d’un temple grec et d’une église byzantine, à Sélefké (Séleucie). — Dessin de Grandsire d’après M. V. Langlois.

Le lendemain, nous suivîmes encore la ligne de rochers dont la base plonge dans la mer, et après plusieurs jours d’une marche pénible, nous atteignîmes l’antique ville d’Elœusa (Sébaste), dont les ruines couvrent une large colline qui regarde la Méditerranée. Là, nous plantâmes nos tentes au milieu des rochers et des décombres qui jonchaient le sol. Un sarcophage renversé sur le côté me servit de refuge pendant un orage qui nous assaillit tout à coup. Des torrents de pluie tombèrent sur la ville, des arbres furent déracinés par la violence du vent, et le tonnerre, qui ne cessa de faire entendre ses grondements, tomba sur un grand arbre à quelques mètres de notre campement. Je recommande aux amateurs de magnifiques horreurs un orage dans le Taurus !

À partir d’Elœusa, nous suivîmes une voie romaine, pratiquée à travers le roc vif, et qui traverse les différentes villes du littoral jusqu’à Séleucie (Sélefké[1]).

Le village de Sélefké est bâti sur l’emplacement de la ville de Séleucus-Nicator. De loin on aperçoit un château qui couronne un mamelon au pied duquel s’élèvent les maisons du village, petites constructions carrées à terrasses et espacées à distance les unes des autres. Le minaret de la mosquée se détache du milieu des constructions, ainsi que deux colonnes ornées de leurs chapiteaux,

    des voyageurs qui ont visité certaines localités de la montagne, voisines des portes de la Cilicie, est de beaucoup inférieur, et parmi ceux-ci je mentionnerai Paul Lucas, le général Chesney, MM. Barker, Tchihattcheff et Kotschy. Enfin toute la région montagneuse, située entre le Kulek-Boghaz et l’Amanus, semble avoir été complétement négligée par les voyageurs, et je ne puis rappeler que le nom de M. Ch. Texier, qui traversa le Taurus en passant par Sis pour se rendre à Trébizonde.

  1. J’omets une excursion au cap Anamour, aux ruines d’Anemurium, de Celendéris et d’Holmi. (Voy. mon Voyage dans la Cilicie et les montagnes du Taurus, pages 171 et suiv.)