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tarda pas à découvrir dans le territoire même de Port-Philipp des mines d’or beaucoup plus abondantes.

« C’était au mont Alexandre, à quatre-vingts milles de Melbourne, et trois semaines étaient à peine écoulées que dix mille individus y travaillaient déjà. Quantité de mineurs firent fortune en peu de jours ; aussi, quiconque avait perdu son argent ou n’en avait jamais eu, partait pour les mines. Deux frères, nommés Cavenagh, réalisèrent en deux semaines la somme de trois mille six cents livres sterling, soit quatre-vingt-sept mille cinq cents francs, dont ils trouvèrent plus de la moitié en une demi-heure sous la forme de nuggets de la grosseur d’œufs de pigeon. Trois autres individus trouvèrent douze cents livres sterling un matin avant leur déjeuner… À Melbourne, les boutiques se fermèrent, les boutiquiers chargèrent leurs marchandises sur des chariots et prenant le fouet en main, ils se dirigèrent vers les placers. Partout où la main de l’homme était nécessaire, dans les moulins, les boucheries, les tanneries, l’ouvrage cessa faute d’ouvriers. La fièvre de l’or avait tout envahi.

« Bientôt d’autres mines devinrent célèbres : Balarath, Bendigo, Mac Ivor-les-Ovens. Tout fut sens dessus dessous dans la colonie, l’imprévu était à l’ordre du jour. On crut un instant que ce serait la ruine de quelques-uns, mais ce fut la fortune de tous. Le gouvernement était déjà assez fort pour pouvoir supporter une perturbation pareille ; et, grâce à ses soins, grâce aussi à l’esprit d’organisation des Anglais, à leur respect de la loi, l’or ne produisit pas en Australie les désordres qu’il avait causés en Californie. Une administration à part fut établie pour les mines, des commissaires furent nommés pour répartir le terrain entre les mineurs, des juges pour prononcer sur leurs querelles. Des pelotons de troupes de la reine furent envoyés, une gendarmerie spéciale, organisée pour la sûreté des individus, des escortes pour les convois d’or.

« Rien n’était plus curieux que la route des mines pendant les premiers temps qui suivirent la découverte de l’or. Tous portaient alors sur leurs physionomies la joie de la découverte, la confiance sans bornes dans la fortune ; et l’or se jetait par poignées, nul ne comptant celui du présent tant chacun en rêvait dans l’avenir. De Melbourne au mont Alexandre, ce n’était qu’une longue caravane de chars traînés par des bœufs ou par des chevaux, de cavaliers et de piétons. La saison était si belle ! Point de pluies, et, par conséquent, toute cette cohue d’allants et de venants, cohue d’hommes, de chevaux et de chariots, pouvaient traverser la plaine libre, sans autre inconvénient que le nuage permanent de poussière qui marquait la route à travers l’immense solitude. Le soir, comme les hôtelleries n’avaient pu être improvisées en assez grand nombre, ceux qui voyageaient de compagnie s’arrêtaient à quelque distance de la route, allumaient leurs feux et s’endormaient tranquilles ; l’un d’eux veillant à la garde des chevaux ou des bœufs.

« Dans les auberges, tous ces gens qui revenaient des mines et qui, peut-être jusque-là, n’avaient jamais eu une livre dans leur poche, entraient avec l’aplomb que donne un gousset bien garni. Ils se commandaient le meilleur dîner, le champagne coulait à flots, et quand ils sortaient ils jétaient des nuggets d’or aux musiciens improvisés qui jouaient devant la porte le God save the king ou quelque merry gig d’Écosse ou d’Irlande.

« Aujourd’hui, cette physionomie est bien changée ; les illusions ont disparu. Le mineur heureux met son argent à la banque, aux placers mêmes ; il prend son reçu et revient à Melbourne, assis dans la voiture publique, tandis que le mineur malheureux revient tristement à pied, sa couverture de laine roulée autour des reins. Plus d’émotions, plus de chants, plus de musiciens ambulants. Les auberges sont construites, la route est en partie macadamisée, et là où elle ne l’est pas encore[1], resserrée entre les clôtures des terres cultivées, elle présente une fondrière ou les voitures restent embourbées pendant des jours entiers. Le travail de l’or est actuellement une industrie comme une autre ; pour un travail plus pénible vous avez un salaire plus élevé, voilà toute la différence. Aussi, vous n’entendez plus parler en Europe de ces Eldorados modernes, et sans les galions, dont l’arrivée ou le retard fait la hausse ou la baisse à la bourse de Londres, vous croiriez peut-être qu’il n’y a plus ni mines ni mineurs. »

En somme, on voit qu’à travers quelques périls la colonie de Port-Philipp n’a point cessé de grandir en prospérité. Ses champs et ses prairies ne sont pas aujourd’hui moins riches, ses troupeaux moins nombreux, parce qu’on exploite régulièrement des mines d’or dans leur voisinage. La vie pastorale continue à offrir, en Australie, aux émigrants intelligents et laborieux de toutes les nations, des chances de bonheur et de fortune, comme va le prouver l’histoire de notre compatriote, M. de Castella.

Terminons cet avant-propos en rappelant que, depuis le 15 juillet 1851, le district de Port-Philipp (qui auparavant était une dépendance de la Nouvelle-Galles du Sud) est devenu un État indépendant sous le nom de province de Victoria.


L’auteur s’embarque sur le Marlborough.

Parmi les nombreux navires à voiles et à vapeur qui font le service entre l’Angleterre et l’Australie, ceux de Londres surtout ont été jusqu’ici préférés par les émigrants aisés, particulièrement ceux de Green. Cette compagnie possède environ quarante navires de mille quatorze cents tonneaux.

Je pris mon passage sur le Marlborough, magnifique vaisseau-frégate de douze cents tonneaux. Nous étions trente-deux passagers de première classe, quinze de deuxième et soixante-huit de troisième classe. Les cabines de première sont de neuf pieds carrés. Celles du Marlborough étant construites dans le pont de batterie, chacune d’elles avait une fenêtre large d’environ trois pieds sur deux de hauteur.

  1. La route est entièrement achevée sur les lignes principales. Plusieurs chemins de fer sont livrés à la circulation ou près de l’être.