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l’autre afin que nos montures ne pussent sortir de l’enceinte.

La nuit se passa sans incident. Nous nous réveillâmes pleins d’espérance et déterminés à atteindre les mines de cuivre qui n’étaient plus qu’à deux lieues.

Après une marche pénible, nous arrivâmes près d’une trentaine de maisons en ruine. Des poutres placées dans les excavations avaient servi d’échelle pour y descendre. Toute la surface de la colline est couverte de pyrite de fer et d’oxyde de cuivre rouge.

Ces mines sont connues sous le nom de Santa Rita del Cobre. Pendant plusieurs années une quantité considérable de cuivre en a été extraite : l’alliage d’or que contient ce cuivre payait les frais de l’exploitation. Le massacre des mineurs par les Apaches a arrêté l’exploitation.

À deux lieues au delà, vers le nord, coule le rio Gila, au milieu de forêts où l’on trouve des cèdres, des chênes blancs et la vigne vierge qui s’unit avec le houblon sauvage en lianes splendides.

Le rio Gila forme la ligne frontière jusqu’à sa jonction avec le rio de San Francisco. Cette rivière est encaissée dans des roches couvertes de hiéroglyphes indiens. En plusieurs endroits, on rencontre des sculptures colossales taillées dans le roc. Ce sont généralement des vases. Ces sculptures sont grossières, mais font supposer l’occupation antérieure de ce pays par des peuplades parvenues à un certain degré de civilisation. Comme au rio Passo del Norte, on rencontre le castor au rio Gila. Le poisson y abonde, ainsi que la caille bleue.

En avançant vers l’ouest, le rio Gila est moins encaissé et offre une route praticable même aux wagons.


Nous sommes cernés par les Apaches. — Parlementaires. — On délibère sur notre sort. — Traité de paix.

Le 20 septembre, la nuit était très-sombre. On voyait à peine à trois pas devant soi. C’était mon tour de garde : je prêtais l’oreille au moindre bruit, et je ne tardai pas à entendre l’herbe agitée ; j’armai ma carabine et je me tins prêt à faire feu. Mon immobilité enhardit mon mystérieux ennemi, et je pus enfin m’assurer que c’était un chien ressemblant fort à nos chiens de bergers ; un second ne tarda pas à le rejoindre, et, selon l’habitude de ces animaux rusés, ils parcoururent le camp avec précaution en ramassant quelques os jetés à terre, puis ils se retirèrent. Pour moi, il n’y avait plus de doute, les Indiens n’étaient pas loin. La nuit se passa toutefois sans autre incident. Au réveil de mes camarades, je leur communiquai mes craintes ; il fut décidé qu’un certain nombre de Mexicains iraient chercher du cuivre, selon la promesse que nous avions faite à M. Zuluaga, et qu’aussitôt après nous sortirions de cette gorge de montagnes.

Pendant que les uns se dirigeaient vers les mines de cuivre, d’autres devaient explorer les bords du cours d’eau, afin d’y chercher de l’or ; nous restâmes trois à garder le camp. Je montai au sommet d’une colline, et j’aperçus un Indien, puis un second bientôt suivi d’un troisième ; ils étaient à cheval et se dirigeaient vers nous.

Je donnai aussitôt l’alarme à mes compagnons en sonnant d’un petit cor d’ivoire. Tous ceux qui étaient encore peu éloignés accoururent. Les trois Indiens firent halte et parurent hésiter. En présence de si peu d’ennemis, on me blâma d’avoir donné l’alarme. Mais presqu’au même instant de nombreux Indiens à cheval envahirent la vallée et formèrent une ceinture qui fermait toutes les issues. Ils s’avancèrent avec une tactique militaire remarquable. Notre situation était très-mauvaise ; la défense était presque impossible. Nous étions convaincus que pas un seul de nous n’échapperait, mais nous étions décidés à vendre chèrement nos chevelures.

Pour ralentir la marche des Indiens, nous tirâmes quelques coups de carabine ; la longue portée de nos armes inspira sans doute de la crainte aux Apaches : ils s’arrêtèrent. Nous profitâmes de leur hésitation pour nous barricader et amonceler des pierres, tirant toujours quelques coups auxquels ils ripostèrent. Cependant il fallait ménager notre poudre et ne pas tirer au hasard. Notre domestique nègre tremblait de peur ; notre vieux guide Tatatché se précipitait à genoux priant Dieu en versant des larmes ; d’autres Mexicains métis n’étaient pas moins effrayés et ne reprirent courage qu’avec le secours de l’eau-de-vie mêlée de poudre que nous leur donnâmes à boire à discrétion : nous les employâmes à fondre des balles…

… Les Indiens nous tinrent ainsi en échec pendant trois jours. Nous ne manquions pas de vivres, mais nous n’avions pas d’eau, notre camp étant placé sur un monticule. L’eau-de-vie fut notre seule ressource. Nos bêtes souffrirent cruellement. Quelquefois on se hasardait à aller chercher de l’eau avec des cruches que nous avions emportées du camp où les Apaches avaient été tués ; ce n’était pas sans danger ; ceux qui se dévouaient ainsi étaient le point de mire des Indiens ; personne cependant ne fut atteint.

Tout à coup, les Indiens hissèrent un drapeau parlementaire ; nous répondîmes par un autre drapeau blanc, que nous improvisâmes au moyen d’une chemise attachée à une longue perche. Aussitôt après, deux hommes à cheval s’avancèrent vers nous : l’un d’eux était un Apache d’une vigueur musculaire remarquable, mais dont le visage était d’une laideur et d’une férocité repoussantes ; il paraissait ivre. L’autre était un vieillard à cheveux blancs, dont la physionomie était aussi noble qu’audacieuse ; il était vêtu d’une peau d’antilope ; on reconnaissait en lui un homme habitué à la vie nomade du désert, quoiqu’on pût facilement s’apercevoir qu’il appartenait à la nation espagnole. Souvent de grands mystères éloignent ainsi certains hommes blancs du monde civilisé.

Ce vieillard servait d’interprète aux Indiens. Il nous apprit qu’une caravane avait été reconnue et s’avançait dans la prairie ; assurément un Indien nous eût caché le secours qui nous arrivait et qui avait déterminé nos ennemis à suspendre les hostilités. Cette généreuse confidence nous dicta la conduite que nous avions à tenir.