Page:Le Tour du monde - 04.djvu/275

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che de parvenir avant la mort à un état de béatitude suprême. Il est clair que la poursuite de ce but indéterminé et vague développe au plus haut degré le sentiment de l’égoïsme. L’idée du prochain est hors de question dans un système philosophique qui n’envisage que l’individu et son créateur ; mais cette doctrine est très-favorable pour calmer les souffrances que le doute inflige à toute âme croyante. En effet, les détails d’une religion, c’est-à-dire tout ce qui y donne le plus de prise aux critiques de la raison, s’évanouissent comme un accessoire sans signification dans une croyance qui n’exige que l’admission d’un seul fait, l’existence d’un Dieu créateur de l’univers. Férid-ed-Dine est le représentant le plus caractéristique de cette secte ; aussi ne doit-on pas s’étonner de trouver dans ses écrits des passages où il se pose en fervent musulman, à côté d’autres où il fait des emprunts à des religions qui lui sont étrangères. On a marqué l’emplacement de son tombeau par une dalle portant une longue inscription en vers persans, mais je doute que ce monument corresponde à l’endroit de la sépulture du poëte. Je crois même qu’il n’a jamais été enterré, et que son cadavre, avec ceux des milliers de ses concitoyens, victimes de l’ardeur belliqueuse des troupes mongholes, a été dévoré par les bêtes fauves et les oiseaux de proie. Au moins nous savons que pendant quelque temps après la retraite de l’armée de Tchenguiz, les chacals, les loups et les vautours, restèrent seuls maîtres des ruines de Nichapour, et qu’ainsi fort probablement la chapelle funéraire, érigée en mémoire du poëte, n’est qu’un monument purement représentatif.


Kadamgâh. — Passage des montagnes. — Djéghar. — Montagne du salut. — Vue de Méched. — Escorte d’honneur. — Entrée dans la ville.

Deux routes conduisent de Nichapour à Méched. La première, celle du nord, coupe les montagnes qui servent de limite commune aux districts de ces deux villes ; l’autre, qui est la plus longue, tourne cette chaîne et reste presque tout le temps dans une plaine aride et inculte. Ce n’est que près de Tourouk, où elle s’unit à la route de Meched à Hérat, qu’elle traverse un terrain un peu accidenté par des collines argileuses. La chaleur, déjà très-forte à Nichapour, nous fit préférer le passage des montagnes au voyage à travers la plaine, et, ayant expédié nos bagages par la route basse qui est en même temps la route postale, nous quittâmes la ville le 3 juillet.

Jusqu’à la mosquée de Kadamgah, à trois farsakhs (15 kil.) de Nichapour, le terrain est parfaitement uni ; la route est large et passe entre de nombreux villages entourés de jardins fruitiers. Cette mosquée, construite en 1091 de l’H. (1718), par ordre du chah Souleiman, se trouve au milieu d’un vaste jardin qui a presque deux siècles d’existence et dont les platanes sont d’une rare