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voir les montagnes entre elle et la mer, tant l’envie de visiter le vaste monde l’avait obsédée et torturée dans la ville maritime.


Premiers voyages d’Ida Pfeiffer. — Jérusalem. — L’Islande.

Quand elle eut repris à Vienne sa vie calme et paisible, elle ne fut continuellement occupée que du désir de conserver ses forces jusqu’à ce que ses fils pussent se suffire et vivre seuls. Ce désir fut exaucé ; ses fils surent s’ouvrir, l’un et l’autre, assez promptement, une carrière honorable.

Leur position assurée, Ida Pfeiffer revint à ses idées de voyages. L’ancien projet de voir le monde l’envahit tout entière, sans plus trouver d’opposition ni dans la raison ni dans le devoir. Ce qui la préoccupait seulement, c’était de savoir comment elle exécuterait un grand voyage ; car elle était obligée de voyager seule, son mari étant déjà trop vieux pour supporter les fatigues d’une pareille entreprise, et ses fils ne pouvant pas être enlevés pour si longtemps à leurs occupations. La question d’argent lui donnait aussi beaucoup à réfléchir. Les pays qu’elle se proposait de visiter n’avaient ni hôtels ni chemins de fer, et les dépenses devaient être d’autant plus considérables que le voyageur serait forcé d’emporter avec lui tout ce dont il aurait besoin. Or les ressources d’Ida Pfeiffer étaient très-limitées, surtout depuis qu’elle avait dépensé pour l’éducation de ses fils une partie de l’héritage de sa mère, morte en 1831.

« Cependant, dit-elle dans son journal, je ne délibérai pas longtemps avec moi-même sur ces points importants. Pour le premier, que j’étais femme et devais voyager seule, je m’en fiai à mon âge (j’avais quarante-cinq ans), à mon courage et à la forte indépendance que j’avais acquise à la dure école de la vie, quand il ne me fallait pas m’occuper seulement de moi et de mes enfants, mais quelquefois aussi de mon mari. Pour l’argent, j’étais décidée à la plus grande économie. Les incommodités et les privations ne m’effrayaient pas ; j’en avais déjà supporté beaucoup et par force : combien celles que je recherchais volontairement avec un but agréable devant les yeux devaient-elles être plus faciles à supporter ! »

Il y avait deux projets qu’elle caressait depuis sa première jeunesse : le voyage au pôle Nord et celui de la terre sainte. Le pôle Nord, malgré sa puissance d’attraction, présentait, à la réflexion, des difficultés insurmontables. Il ne restait donc que la terre sainte. Mais quand Ida Pfeiffer parla de son intention de visiter Jérusalem, elle fut traitée simplement de folle et d’extravagante, et personne ne sembla prendre son projet au sérieux.

Elle n’en persista pas moins dans sa résolution. Toutefois elle cacha le véritable but de son voyage et parla seulement d’aller visiter, à Constantinople, une amie avec laquelle elle était depuis longtemps en correspondance. Elle ne montra son passe-port à personne, et nul de ceux à qui elle dit adieu ne se douta de son projet véritable. Ce qui lui coûta le plus fut de se séparer de ses fils qui avaient pour elle la plus grande affection et qui ne voulaient pas la laisser s’arracher de leurs bras. Elle eut la force de surmonter son attendrissement, consola les siens par la promesse d’un prompt retour, et monta, le 22 mars 1842, sur le bateau à vapeur qui la fit descendre par le Danube vers la mer Noire et la ville du Croissant. Elle visita Brousse, Beyrouth, Jaffa, la mer Noire, Damas, Balbek, le Liban, les lieux saints, Alexandrie, le Caire, et traversa le désert de l’isthme de Suez jusqu’à la mer Rouge.

Elle revint d’Égypte par la Sicile et par toute l’Italie et arriva à Vienne, en 1842, au mois de décembre. Comme, chemin faisant, elle avait souvent raconté ses aventures à des amis et à des connaissances, d’après un journal tenu avec beaucoup de soin, on l’engagea à plusieurs reprises à faire imprimer tout son pèlerinage. La pensée de devenir auteur répugnait pourtant à sa modestie, et ce ne furent que les propositions directes d’un éditeur qui la décidèrent à livrer sa première œuvre à la publicité. L’ouvrage parut sous ce titre : Reise einer Winerin in das heilige Land. (Voyage d’une Viennoise dans la terre sainte.) Sans renfermer des choses bien neuves, et sans être écrit dans le style poétique et recherché des voyageurs célèbres alors à la mode, le livre réussit, comme l’attestent quatre éditions. Il semble que ce furent justement la simplicité de la relation et le naturel vrai du récit qui lui conquirent promptement un nombreux public.

Le succès de ce premier voyage qui assurait à Ida Pfeiffer de nouvelles ressources, lui fit bientôt concevoir d’autres projets, et cette fois ce fut le Nord, où elle alla chercher les images grandioses et les phénomènes extraordinaires de la nature.

Après diverses préparations, parmi lesquelles il faut compter l’étude de l’anglais et du danois, ainsi que la pratique du daguerréotype, et après s’être exactement renseignée sur les pays qu’elle allait visiter, elle partit le 10 avril 1845. Le 16 mai elle débarqua sur la côte d’Islande, parcourut dans tous les sens cette île intéressante ; visita le Geyser et les autres sources thermales et fit l’ascension de l’Hécla, qui semblait attendre son départ pour recommencer, après un repos de soixante-dix ans, à vomir du feu. À la fin de juillet elle retourna à Copenhague, d’où elle se rendit par Christiania, le Thélemark et les lacs de Suède à Stockholm, puis à Upsal et aux forges de Danemora. Elle revint par Travemunde, Hambourg et Berlin dans sa ville natale, où elle arriva le 4 octobre 1845, après six mois d’absence.

Le journal de ce second voyage parut sous le titre suivant : Reise nach dem Skandinavischen norden und der Insel Island. (Voyage au nord de la Scandinavie et en Islande. Pesth, 1846, deux vol.) Cet ouvrage, qui trouva également beaucoup de lecteurs, fut réédité en 1855. La vente des curiosités qu’elle avait rapportées et ce qu’elle reçut de son éditeur mirent Ida Pfeiffer à même de songer à des entreprises nouvelles plus vastes et plus considérables. L’idée d’un voyage autour du monde