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con, au clair de la lune, qui était très-brillante. La fraîcheur était venue remplacer cette chaleur étouffante qui commence chaque jour avec le lever du soleil.

J’appris avec peine le lendemain que je ne trouverais pour me servir aucun domestique qui parlât le français. On m’indiqua un horloger qui peut-être pourrait me renseigner un peu mieux. Il demeurait à côté de l’hôtel. Il faut avoir voyagé dans un pays dont on ne connaît pas bien la langue, pour comprendre avec quel plaisir j’écoutai parler ce brave homme. Il m’offrit de m’accompagner pour remettre mes lettres d’introduction. J’acceptai avec grand empressement cette proposition, et nous allâmes aussitôt faire nos visites. Je fus reçu à merveille ; l’hospitalité me fut offerte de toute part avec cette cordialité qui est générale chez les Brésiliens ; mais je préférais ma liberté, puisque j’avais trouvé à me loger, et remerciant ces messieurs, je revins avec mon guide faire quelques emplettes.

Nous courûmes toute la ville pour trouver les choses les plus ordinaires. Un petit livre qui, en France, m’aurait coûté cinq sous, me coûta six francs. On rencontre par hasard chez un marchand de tabac des objets complétement opposés à son commerce : des souliers ou un parapluie ; le bottier a quelquefois de l’élixir de la Grande-Chartreuse, ou une guitare ou des perroquets à vendre ; ainsi des autres. J’ai longtemps cherché une écritoire ; j’avais perdu un scalpel, il m’a été impossible de m’en procurer un autre ; les marchands chez lesquels mon horloger me conduisait pour cette emplette s’empressaient de me donner, non un scalpel, mais une lancette à saigner ; tout le commerce en avait à vendre ; j’ai oublié de m’informer pourquoi la lancette joue en ce pays un si grand rôle.

La paye des commissionnaires, au Pará.

J’appris en courant les rues, que ces figures pâles, ces cadavres vivants qui m’avaient d’abord impressionné désagréablement, n’étaient pas malades le moins du monde. La plupart de ces individus sont des Portugais venant des îles. Par économie, ils ne dépensent rien ; on m’a dit que plusieurs vivaient avec quelques bananes par jour. Leur sang s’appauvrit, ils perdent leurs forces. Ce régime, auquel pourtant ils s’habituent, leur donne cette couleur dans laquelle le vert domine, ce qui ne les empêche pas, en amassant sou sur sou, de devenir très-riches. Mon guide faisait toujours cette plaisanterie en les voyant :

« Voilà M. le commendador futur ; ces gens-là le deviennent tous. »

J’avais l’intention d’en peindre un, car cette couleur de cadavre vivant était une étude curieuse à joindre à celles que je possédais déjà ; mais quand j’ai été en mesure de le faire, j’étais moi-même devenu pâle et malade comme eux.

Par l’intermédiaire de mon horloger, j’eus l’espoir de me procurer pour domestique un Français habitant le Pará depuis trente-deux ans : malheureusement on ne savait où il logeait. Une fois mes lettres remises, j’allai faire une visite à M. de Froidefond, consul du Pará. Il habitait à une demi-lieue de la ville, à Nazareth. C’est