Page:Le Tour du monde - 04.djvu/367

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Les rivages se couvrirent ensuite d’arbres déracinés : le côté sud des îles avait été plus ravagé que le côté nord. Quand venait l’après-midi, le soleil nous gênait beaucoup ; nous naviguions presque directement de l’est à l’ouest.

Mon enthousiasme pour la nature vierge était toujours le même : partout où je pouvais me mettre à l’abri du soleil, j’écrivais ou je dessinais, malgré la marche du navire.

Ce matin, des cris de toute sorte m’ont éveillé ; un instant je me crus dans ma case au milieu des bois ; je m’empressai d’ouvrir les rideaux : nous traversions encore les plantes aquatiques ; trois aras se sauvaient en répétant ce cri auquel ils doivent leur nom ; une aigrette, plus brave sans doute, resta perchée sur une branche et ne se posa pas même sur sa seconde patte, qu’elle avait repliée sous son ventre, quand nous passâmes près d’elle. Je ne me trompais pas, c’était bien le cri de l’oiseau fantôme, ce cri, le premier qui salua le jour de mon arrivée, quand je couchais sur ma natte dans les forêts vierges. Alors, comme à cette époque, je l’entendis et ne le vis pas. Était-ce donc une âme ? Les Indiens avaient-ils raison ? Cet oiseau de malheur m’avait prédit ce qui m’était arrivé plus tard chez mon hôte ; était-ce un nouveau présage de ce qui m’attendait dans les solitudes où j’allais vivre de nouveau ?

Ce chant me faisait éprouver une singulière impression : il m’avait découragé ; il me faisait voir seulement le mauvais côté des choses : les îles ne me paraissaient plus aussi intéressantes ; on m’avait parlé de plages immenses toutes couvertes d’œufs de tortue : les eaux les couvraient entièrement, et l’Amazone ne paraissait pas devoir rentrer de sitôt dans son lit. Cela changeait beaucoup mes projets.

On jeta l’ancre devant Prahina.

C’était la première petite ville que nous voyions depuis que je m’étais donné la tâche de faire toutes celles devant lesquelles nous passerions. Celle-ci, comme toutes les autres, se composait de baraques, dont quelques-unes étaient enduites de chaux. L’église m’a paru très-petite ; on sonnait la messe.

Nous prîmes en passant un jeune prêtre, à tournure modeste : une heure après on ne l’eût plus reconnu : il reparut sur le pont sous la forme d’un élégant dandy avec cigare et lorgnon.

Nous approchions de Santarem ; la terre ferme commençait à paraître ; les arbres n’avaient plus les formes gracieuses empruntées aux plantes grimpantes. Le paysage ressemblait plus à ceux d’Europe qu’à ceux d’Amérique, et pour compléter l’illusion, des bandes de canards s’envolaient devant nous. Nous entrâmes dans des eaux bien différentes de celles de l’Amazone, qui sont jaunes et sales ; celles-ci étaient d’un noir bleuâtre et avaient la tranquillité d’un lac ; l’Amazone, au contraire, était fort agitée ; les lames s’élevaient très-haut.

Santarem dans la province du Pará.

Nous arrivâmes à Santarem vers midi. Cette petite ville est bâtie sur les bords du fleuve Tapajóz, dont nous avions vu les eaux bleues. Le capitaine, allant à terre, m’offrit de descendre avec lui dans son embarcation.