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si ce n’est parmi les captifs que conduisaient des soldats. Il faut croire que les Assyriens, comme les Orientaux aujourd’hui, cachaient les femmes, et qu’ils n’ont montré celles de leurs ennemis vaincus qu’avec l’intention de leur faire subir une humiliation de plus.

Ce que nous retrouvâmes dans les fouilles n’était évidemment que la partie inférieure des murs. Sur les plaques de pierre portant les bas-reliefs, s’élevait la partie supérieure, dont, en aucune place, il n’a été possible de reconnaître la forme. Mais, parmi les débris tombés, les probabilités ont pu se présenter de telle façon qu’il est permis de dire, avec quelque certitude, que les murailles sculptées se terminaient par une frise formée de briques émaillées qui, par leur assemblage, représentaient des dessins coloriés, rappelant quelques-unes des scènes des bas-reliefs. Quelquefois aussi, ces frises devaient avoir une ornementation consistant en une suite de rosaces, ou en guirlandes de fleurs de lotus épanouies, qui alternaient avec des boutons de la même plante. En certains endroits, on retrouve encore des briques qui faisaient partie de longs cordons figurant des dessins auxquels on a depuis donné le nom de grecques, et qui sont, comme on le voit, originaires de Ninive. Ces frises en briques émaillées que l’on retrouve là, et qui ont dû être également adoptées dans l’ornementation des édifices de Babylone, expliquent ce passage d’Hérodote où l’historien grec fait la description des tableaux qu’il a vus dans le palais de Sémiramis, et qui représentaient des chasses où sont des oiseaux et autres animaux peints.

Les voyageurs admirent encore aujourd’hui l’élégance des coupoles et des minarets de Bagdad, surtout de la Perse, qui sont entièrement recouverts de mosaïques du même genre, de l’émail le plus brillant et le plus solide. — Invention chaldéenne, l’art des émaux s’est perpétué chez les peuples qui ont remplacé les anciens Ninivites et les Babyloniens. — Les Arabes, conquérants de l’Asie centrale, au nom de Mahomet, et pour la gloire de l’islam, l’ont introduit dans tout l’Irân et jusque dans l’Afghanistan, où il a servi d’ornement aux coupoles chatoyantes des mosquées de Ghiznèh et d’Ispaban, qui ont succédé aux palais et aux temples de marbre d’Ecbatane et de Persépolis.

L’œil se serait difficilement habitué au contraste qu’aurait produit, à côté de ces émaux aux couleurs vives et variés, les bas-reliefs qu’ils surmontaient, si leurs sculptures étaient restées nues et n’avaient eu d’autre ton que celui de la pierre grisâtre sur laquelle ils étaient exécutés. Les artistes de Ninive ont voulu éviter cet effet désagréable, et ils ont colorié de tons à peu près semblables à ceux des briques émaillées, tous les bas-reliefs qui décoraient les salles ou les façades ; — c’est ce qui est prouvé par les traces nombreuses de coloration qui se retrouvent sur les sculptures que le feu n’a pas endommagées. — Cette polychromie est depuis longtemps reconnue comme particulière aux monuments de l’Égypte ; de célèbres voyageurs l’ont constaté, et de consciencieux ouvrages nous ont conservé à cet égard de curieux détails. Les couleurs retrouvées à Khorsabad paraissent être les mêmes que celles qui donnent encore aujourd’hui tant de vivacité aux sculptures égyptiennes. Les tons en sont très-peu variés, et, d’après les observations minutieuses auxquelles je me suis livré, ils se bornent au bleu, au vert, au rouge, au jaune et au noir. On sait que, depuis quelques années et contrairement à l’opinion qui refusait d’admettre que les Grecs eussent jamais caché leurs belles formes architecturales ou sculpturales sous de la peinture plastique, la plupart des savants archéologues ont accepté la polychromie comme une des ressources artistiques à l’usage des Grecs, pour la décoration de leurs édifices ; et toutes les recherches que l’on a faites à ce sujet tendent à prouver que les couleurs désignées précédemment étaient pour les temples de la Grèce, comme pour ceux de l’Égypte, les seules en usage.

On se rend, d’ailleurs, aisément compte des raisons qui, indépendamment d’un goût particulier, ont pu engager les Assyriens à peindre les sculptures de leurs palais ou de leurs temples : le contraste des émaux brillants et de la pierre nue eût produit un fâcheux effet. Cette pierre est, par elle-même, peu agréable à l’œil ; elle est d’un ton grisâtre, sans brillant, et n’a point d’homogénéité. Elle est mélangée, comme la plupart des gypses, de parties mates et de parties transparentes qui nuisent à l’aspect général. On conçoit donc que les Assyriens n’aient pas été arrêtés par la qualité de la matière employée à leurs sculptures, et qu’ils aient sans scrupule revêtu celles-ci de peintures. Ce qui se comprend plus difficilement, c’est que les Grecs, dont tous les monuments ont été construits avec des matériaux de la plus belle qualité, tels que le marbre du Pentélique ou de Paros, et dont les ornements architectoniques étaient si finement exécutés, aient pu se décider à cacher l’empreinte du ciseau de leurs habiles sculpteurs sous des couches de bleu et de rouge que rien ne nécessitait. D’après cela, il est permis de croire que les Hellènes, dans leurs habitudes de polychromie, ont moins obéi à un goût qui leur était propre, qu’ils n’ont voulu suivre un genre de décoration déjà adopté en Asie. Ils complétaient ainsi les emprunts qu’ils ont faits à l’art assyrien ou égyptien pour les autres éléments de leur architecture ou de leur sculpture. Sans doute, cet art a été profondément modifié par leur génie, mais on ne peut, sans injustice, leur accorder l’honneur d’avoir imaginé le principe qui a eu l’antique Orient pour berceau.

Pour en revenir à Ninive, je ne trouve pas surprenant qu’on y ait pratiqué le même système de coloration qu’en Égypte. C’est encore une conséquence de l’esprit d’imitation dont l’influence se révèle dans tous les grands monuments exécutés par les Assyriens. Je n’oserais point avancer que les murs des palais de Khorsabad étaient entièrement coloriés, et, à cet égard, je suis dans le doute. Il est possible que certaines parties seulement des bas-reliefs aient été peintes, et qu’afin de produire plus d’effet, en laissant la pierre à son état naturel, sur les grandes surfaces, on n’ait colorié que quelques détails ; cependant j’ai peine à le penser, à cause du dispa-