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rate qui en serait résulté. Il est vrai que les tons retrouvés se remarquent principalement sur les armes des guerriers, ou les harnais des chevaux. Mais on ne peut conclure de cette particularité que ces places soient les seules que l’on ait eu l’intention de colorier. Il faut, sans doute, attribuer leur conservation à la forme et aux détails refouillés des objets dont je parle ; tandis que, sur de grandes surfaces polies, on comprend que l’altération des couleurs qui pouvaient les recouvrir ait eu lieu plus facilement. Il est possible aussi que celles des couleurs retrouvées aient été obtenues au moyen d’oxydes métalliques présentant une plus grande solidité que les autres dues à des préparations végétales plus légères et moins adhérentes. Au reste, j’ai reconnu, sur certaines plaques sculptées, assez d’autres vestiges de couleur, pour croire que la surface des bas-reliefs a dû être, en totalité, couverte de peinture ; car j’ai vu des coiffures et des tuniques encore teintées de rouge de deux nuances, l’une se rapprochant du pourpre, l’autre jaunâtre, ayant toute l’apparence du minium. Comme on remarque particulièrement cette nuance sur la tiare ou le bandeau royal des souverains, il est permis de croire que la couche rougeâtre, retrouvée sur ces ornements distinctifs de la royauté, n’était autre chose qu’une préparation destinée à recevoir une application d’or. En continuant avec soin mon examen au sujet de cette coloration générale, je me suis aperçu en beaucoup d’autres endroits, et sur les murs des façades, où l’incendie a fait moins de ravages, que le fond de la pierre conservait encore une teinte d’ocre, et que les visages des personnages, ainsi que leurs membres nus, paraissaient participer de ce même ton, d’ailleurs assez léger. Une des particularités les plus remarquables de la coloration des figures, est le soin avec lequel ont été peintes en noir vif les prunelles des yeux et les paupières, ce qui ferait penser que, déjà dans l’antiquité la plus reculée, était adopté l’usage de se peindre le bord des yeux, qui s’est perpétué dans tout l’Orient, et qui fait partie encore de la toilette des raffinés. Il est curieux de rapprocher de cette observation, faite devant les sculptures de Khorsabad, ce que raconte Hérodote de la manie qu’avaient les Mèdes d’imiter, dans leurs habitudes privées, les Assyriens à qui ils empruntèrent les longues robes et la coutume de se teindre la barbe, les cheveux ou les yeux.

Parmi les admirables fragments de sculpture qui ont été apportés à notre musée du Louvre, il se trouve quelques plaques qui portent de précieuses empreintes de cette polychromie adoptée généralement dans l’antiquité orientale, et sur laquelle les connaissances des anciens archéologues avaient été mises en défaut par les Romains qui, tout en imitant l’architecture grecque, s’étaient refusés à suivre cet usage. Il a fallu que, dans ces derniers temps, la sagacité des contemporains, aidée de la facilité des voyages, vînt décider la question, et combler ainsi une lacune dans l’histoire de l’art.

Les sculptures de Khorsabad étaient accompagnées de longues bandes d’inscriptions. Les caractères sont cunéiformes et gravés en creux dans la pierre ; tous les sujets représentés ne sont pas munis d’une tablette de ce genre, qui lui soit relative. Ainsi, il y a des processions de rois, d’eunuques, de gardes ou de prêtres, qui n’ont pas besoin d’explication. Ce sont évidemment des cortéges royaux ou des hommages rendus au souverain. Mais le plus grand nombre des tableaux sculptés, dans les salles du palais découvert, ont pour sujets des batailles ; et, bien que le caractère propre aux divers groupes de combattants, fasse comprendre qu’il s’agit de peuples divers en guerre avec les Assyriens, cependant rien n’indiquerait quelle est la nation attaquée, vaincue, de même que rien ne pourrait faire présumer quelles sont toutes ces villes, ces forteresses prises d’assaut ; aussi, pour l’intelligence de ces fastes militaires que les rois de Ninive voulaient évidemment faire passer à la postérité, ont-ils pris soin de graver dans des cadres séparés, au-dessus de chaque sujet, une longue inscription qui, à en juger par le nombre de lignes et par la finesse des caractères, doit en dire fort long sur l’épisode guerrier auquel elle se rapporte. On trouve donc à Khorsabad une histoire authentique, illustrée, des faits et gestes d’un ou plusieurs princes assyriens. — Espérons qu’un jour viendra où la science philologique sera assez avancée pour déchiffrer ces caractères, seuls textes dans lesquels il soit possible de retrouver l’histoire de ce peuple sur lequel nous n’avons que des traditions bien douteuses.

Il est remarquable qu’aucune des plaques faisant partie des façades extérieures ne porte d’inscriptions, quel que soit le sujet représenté. Faut-il attribuer cette particularité à un préjugé religieux ou à un respect exagéré pour la royauté, qui empêchait de laisser des légendes mystiques sous les yeux du vulgaire admis dans les cours, mais exclu de l’asile sacré du souverain ? On peut croire, en effet, que les princes et les prêtres chaldéens de Ninive, retranchés derrière un rideau mystérieux, avaient pour principe de dérober aux regards et à l’intelligence du peuple les dogmes de la religion ou les attributions presque aussi sacrées de la puissance royale ; car, indépendamment des inscriptions qui accompagnent les sculptures, et qui sont ainsi mises en évidence, chaque plaque des murs est encore munie d’une autre bande de caractères placés derrière et de façon à ne pouvoir jamais être vus. Il ne faudrait pas en conclure que ces plaques ont fait partie d’une construction antérieure, car la manière dont les lignes y sont tracées prouve évidemment qu’elles ont été écrites avec intention sur le revers du bas-relief et pour être placées comme nous les avons trouvées. En effet, l’envers de chaque plaque est brut, et porte encore les traces des coups de marteau de l’ouvrier qui l’a préparée ; le centre seul présente une surface polie, un peu creuse, sur laquelle sont les inscriptions gravées avec négligence, et sans aucun des soins que l’on a pris pour le même travail sur les murs des salles. Ce qui achève de convaincre que ces inscriptions n’étaient pas destinées à être vues, c’est que toutes les encoignures des salles sont d’un seul morceau de pierre taillé en équerre, et sur le derrière de ces coins, sur