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sence de cet éclaireur. Nous saisîmes précipitamment nos armes, qui consistaient en armes blanches propres à défendre un abordage, et en quelques fusils et pistolets. Les premiers coups de feu n’éloignèrent pas nos agresseurs, qui se tenaient, en très-grand nombre, à quelques pas de nous, s’abritant derrière les arbres, mais ils ne tardèrent pas cependant à prendre la fuite, et nous n’entendîmes plus que leurs hurlements qu’on ne saurait comparer qu’à ceux des bêtes féroces. Deux ou trois de nos hommes seulement avaient reçu des horions. Nous continuâmes d’avancer, mais la rivière cessant d’être navigable avant que nous ne fussions en vue du village supposé, nous fûmes obligés de nous retirer, d’après la défense expresse qui nous avait été faite d’entreprendre aucune attaque, et nous dûmes regagner le bord.

Toute la nuit qui suivit, nous entendîmes des cris et des sons de trompe que les sauvages produisent en soufflant dans une conque marine percée à la pointe. J’avais trouvé une trompe semblable au campement de la rivière du Massacre. Des feux s’allumaient de tous côtés aux alentours de notre mouillage. Tout cela nous faisait supposer des signaux de ralliement, suivis peut-être d’affreux festins.

Le lendemain matin, nos embarcations retournèrent à l’endroit où nous avions rencontré le Chinois, et au village où nous étions entrés en pourparlers ; mais, attaquées, elles durent se défendre, et revenir à bord sans résultats satisfaisants, car on ne pouvait pas même considérer comme une représailles suffisante, la mort de trois ou quatre sauvages tombés dans cette affaire.

On se dirigea vers un deuxième village construit sur la plage du côté opposé et à un ou deux milles du navire. De nombreux indigènes nous firent un accueil hostile, mais sans tenter contre nous aucun acte de violence. On ne put rien obtenir d’eux. Alors notre commandant, persuadé que toute nouvelle démarche serait de même sans résultat, ne songea plus qu’aux représailles. Les embarcations bien armées retournèrent d’abord au village dont il vient d’être parlé et où un plus grand nombre d’indigènes se trouvaient réunis. Nous fûmes accueillis cette fois à coups de pierres qui eussent pu nous faire des blessures graves ; elles étaient en basalte, très-dures par conséquent, et angulaires. Mais, comme elles étaient lancées à la main, sans l’intermédiaire de la fronde, qui est inconnue des Rosseliens, et par suite douées de peu de vitesse, il était assez facile de les voir arriver et de les éviter à l’aide de quelques mouvements appropriés à la circonstance. Deux de nos hommes seulement furent atteints légèrement. Un matelot placé à l’avant de l’embarcation où je me trouvais eut l’idée de ramasser un de ces projectiles et de le renvoyer à son propriétaire qui semblait être le plus courageux de la bande et s’était avancé le plus près de nous. Le guerrier fit un geste d’estime et d’approbation en faveur de cet ennemi qui, seul au milieu de ses compagnons avait enfin le courage de saisir une arme et de répondre aux coups qui lui étaient portés. Outre ceux qui s’avançaient pour nous jeter des pierres, une bande de gaillards armés de lances faisaient des prouesses de gymnastique sur la plage, où ils nous attendaient. Les femmes, semblables à des furies, excitaient les guerriers, auxquels elles s’étaient mêlées, battant la surface de l’eau de longues gaules et hurlant comme des possédées.

Pendant ce temps nos embarcations se disposaient de la façon la plus propice à balayer la plage, après s’être avancées jusqu’au point où elles ne flottaient plus qu’à peine. Chacun prenait son fusil caché jusqu’alors et on démasquait un obusier dissimulé sous un capot. À la vue de ce bloc emmaillotté dont ils ne connaissaient certes pas l’usage, mais qui, nonobstant, ne leur disait rien qui vaille, les guerriers commencèrent à reculer, puis à déguerpir et dès lors commença le feu. L’explosion de notre petit canon provoqua un cri de détresse inimaginable, bien que, par une circonstance fatale, il n’eût pu produire tout l’effet qu’on en attendait. Nous débarquâmes aussitôt au nombre d’une vingtaine d’hommes, pendant qu’une dizaine d’autres gardaient les embarcations afin de les empêcher d’aller à la dérive ou de s’échouer.

Inutile de dire que nul ne s’opposa à notre débarquement. Nous incendiâmes le village complétement désert. Une perche plantée en terre et portant à son extrémité une petite tige transversale sur laquelle étaient peintes des barres rouges et noires attira notre attention parce qu’elle figurait une croix. Nous nous dirigeâmes de ce côté ; nous visitâmes la cabane près de laquelle elle était placée, de même que nous avions du reste fureté dans toutes les autres avant de les incendier ; nous fouillâmes en outre les environs du village, mais, hélas ! sans trouver trace d’aucun des compatriotes auxquels cette sorte de croix nous avait fait songer. — Enfin nous regagnâmes nos embarcations, chargés des vêtements de Chinois que les sauvages avaient entassés dans leurs greniers sans daigner s’en servir, et emportant aussi quelques-unes de ces bagatelles qui ne sont précieuses que pour les ethnologistes et les amateurs de collections.

Du village incendié nous allâmes dans la rivière ou nous avions été attaqués la veille, mais sans pouvoir rencontrer un seul indigène, dont nous n’entendîmes que les cris éloignés et, cette fois, plutôt gémissants que menaçants.

Bientôt enfin le navire leva l’ancre, et nous fîmes route vers Sydney pour y déposer les naufragés que nous avions à bord, y compris le capitaine P… qui avait pris part à nos expéditions investigatrices et vengeresses.

Certes, le résultat obtenu était médiocre, et le lecteur jugera que les représailles avaient été peu en rapport avec les sanglantes horreurs qui les avaient provoquées, mais on avait fait ce qu’il était possible de faire avec les forces très-restreintes d’un équipage d’aviso à vapeur, contenues d’ailleurs dans une prudence forcée par des instructions très-sévères données avant le départ de la Nouvelle-Calédonie.