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La forteresse d’Elseneur est le château de Kronborg. Le monde entier, par les bâtiments de tous les peuples, par les vaisseaux de tous les pavillons, lui a payé tribut. J’ai pénétré dans Elseneur. Je me suis promené sur la rade d’où cette cité de la navigation et des légendes m’est apparue déjà. Aujourd’hui, sous le soleil, elle éclatait aux regards avec ses édifices de tuile, son hôtel de ville, sa cathédrale, ses tours carrées, ses restes d’abbaye et ses cinq moulins à vent.

Les clochers sont couverts de cuivre d’un vert noir superbe. Les maisons, où logent huit mille habitants, sont les unes rouges, les autres olivâtres, les autres roses, les autres brunes. Elles ont une grande variété d’aspect. L’architecture de plusieurs de ces maisons est bizarre, et l’on comprend que les siècles ont passé dessus. Des pots de fleurs et des cages de canaris ornent les balcons et les fenêtres, comme à Odensée, une vieille ville aussi.

Nous nous sommes arrachés à ce spectacle et nous avons pris la route de Gurre, de Frédensborg et de Frédériksborg.


XI

Le lac et la forêt de Gurre. — Le roi Waldemar Atterdag, selon les moines, les paysans et l’histoire. — Le château de Frédensborg.

Nous avons laissé derrière nous les balcons de Marienlyst, les tours de Kronborg, les clochers, les girouettes, l’hôtel de ville, l’église, les toits rouges et verts d’Elseneur. Nous avons atteint le village, les décombres et le lac de Gurre. Ce lac est circulaire et environné de bois magnifiques.

C’était ici la résidence de l’un des plus grands rois du Danemark. Avant d’aborder son histoire, écoutons d’abord la légende des moines, ses ennemis. Dans cette terre de poésie et de réalité, la légende et l’histoire s’entre-croisent sans cesse. Il faut les connaître toutes deux et les éclairer l’une par l’autre, s’il est possible.

Détail d’une façade du château de Fredériksborg. — Dessin de Thérond.

Le château, le lac et la forêt de Gurre appartenaient à Waldemar Atterdag. Le bon roi menait joyeuse vie dans cette demeure de sa prédilection. Les plus grandes dames du Danemark ornaient sa cour, les plus braves guerriers étaient à ses côtés, au moindre signe. Il était entouré de belles et de héros. Des pages tout habillés de velours portaient ses messages. Ses vins étaient excellents, ses festins somptueux. Il donnait toutes ses nuits au bal, au jeu et à l’amour. Ses journées, il les réservait à la chasse. La chasse était sa passion ; si bien que dans son impatience de courir le daim et le sanglier, un abbé ou un moine l’arrêtait-il un instant afin de blâmer le mauvais exemple, Waldemar Atterdag le congédiait à coups de fouet pour se dispenser du sermon.

Un matin qu’il s’était passé cette fantaisie féodale et que le cor sonnait, il regarda avec complaisance les tours de son château, puis ses gentilshommes, ses maîtresses, ses piqueurs et ses meutes.

« Que je suis heureux ! s’écria-t-il. Pourvu que Dieu me laisse ce château de Gurre, par saint Olaf, mes compagnons, il peut garder son paradis. J’y renonce volontiers. »

Il dit cela, Waldemar Atterdag, et il l’oublia, tandis que l’ange de la justice enregistra ce blasphème.

Le roi continua de vivre en fêtes ; mais comme il arrive à tous les hommes, fussent-ils princes, empereurs ou papes, il mourut. C’est alors qu’il souhaita le paradis, dont saint Pierre lui refusa les portes. L’ange terrible de la vengeance le relégua du ciel sur la terre. Et encore s’il y pouvait dormir sous la dalle froide du sépulcre ! Mais non : un fouet invisible le réveille, et par la glace,