maison du tomonggong et forment un petit ruisseau assez abondant pour la consommation des habitants du hameau. Les eaux tombent, entre les rochers, dans une espèce d’entonnoir, et forment ainsi une excellente baignoire naturelle.
La surface du Pohon-Batou est parsemée d’une foule de blocs détachés de diverses dimensions. Deux d’entre eux attirent particulièrement les regards par leur grosseur. « Ce sont, dit la tradition, les deux premiers individus qui ont escaladé la montagne ; ils ont été changés en pierre par les esprits qui hantaient ce lieu. » L’un de ces blocs repose sur une petite pierre, et dans un si parfait équilibre qu’il suffit de le pousser de la main pour le faire vaciller. Plusieurs personnes peuvent trouver, sous ses saillies surplombantes, de l’ombre contre le soleil ou un abri contre la pluie. Si l’on grimpe dessus, l’on jouit de la charmante perspective des collines des environs et des chaînes de montagnes qui s’élèvent plus loin. À peu de distance à l’est, on aperçoit le Matjan, petite éminence abrupte, au pied de laquelle s’ouvre l’entrée d’une grande caverne, ancien repaire, dit-on, d’un grand nombre de tigres (felis macrocelis).
À l’ouest, l’aspect de la contrée est montagneux. Les nombreuses hauteurs qui environnent le Pohon-Batou affectent les formes les plus variées : la plupart sont couvertes de bois ; quelques-unes, mises en culture et parsemées de maisonnettes, contrastent agréablement au milieu de cette nature sauvage. Le Kahayan serpente entre ses bords escarpés et ombragés ; quand il vient à se montrer, il brille comme un ruban d’argent sur un fond vert sombre.
L’habitation du tomonggong consiste en une maison bien close, longue de cinquante mètres et proprement bâtie en bois de fer sur de hauts pilotis. Ce chef y loge avec sa famille, quelques-uns de ses gendres et une partie de ses boudaks ou esclaves. Le tout est entouré d’une forte palissade ; l’esplanade est également enfermée d’une seconde enceinte, qui aboutit latéralement à la première. Près de la maison s’élèvent les granges à riz, à l’une desquelles étaient suspendues, lors de mon passage, douze têtes d’esclaves sacrifiés, encore très-fraîches. Le kampong renferme une population de 209 âmes. Par ses enceintes et sa situation sur une haute roche d’un accès très-difficile, il est à l’abri de toutes les entreprises des ennemis indigènes, et si l’on y ajoutait quelques fortifications il serait en état d’opposer une longue résistance même à des Européens.
C’est à la fois pour sa propre conservation et par sollicitude pour son immense fortune, que Toundan s’est établi sur ce mont fortifié. C’est le plus riche indigène de toute l’île, et outre une grande quantité de poudre d’or, il possède des ornements et des ustensiles également d’or, parmi lesquels figurent quarante-cinq vases précieux, qui valent bien ensemble 150 000 gulden (300 099 fr.). L’avidité des richesses est le principal trait de son caractère, et tous les moyens lui sont bons pour satisfaire cette passion, qui naturellement ne va pas de pair avec la justice et la loyauté. N’usant de son influence que pour opprimer ses subordonnés, il est plus craint qu’aimé et estimé : chaque année il immole des victimes humaines aux mauvais esprits. Ses ancêtres vivaient sur les rives du Djoloi, où il est né lui-même ; mais les incursions des Pari l’ont forcé de se réfugier dans le district du haut Kahayan. Il a des filles déjà mariées, et un fils encore très-jeune.
Il me traita avec pompe et cérémonie : un gros porc fut saigné en mon honneur, et on nous barbouilla de sang, pendant qu’on nous souhaitait prospérité et longue vie ; je dus ensuite rendre la pareille au tomonggong et aux siens, après quoi fut célébrée une fête à la mode des indigènes.
Après m’être reposé des fatigues du jour, je présentai sur le soir à Toundan des présents appropriés à son rang, et les lettres du résident de Bandjermasing. Il promit d’y faire droit en tout ce qui me concernait ; quant au reste, il déclara qu’il ferait connaître par écrit ses résolutions au gouverneur de Bornéo. L’impression qu’il me fit, à la suite d’une plus ample connaissance, ne lui fut rien moins que favorable. Je ne l’ai entendu parler avec chaleur que de l’état florissant de sa fortune et des moyens dont il usait pour dépouiller les autres à son profit. Il mit beaucoup de réserve dans ses réponses aux questions que je lui fis sur le pays et les habitants : il ne nourrit pas peu de crainte et de défiance à l’égard du gouvernement hollandais.
Un séjour prolongé à Pohon-Batou n’avançait pas mes affaires ; je résolus de continuer mon voyage. L’état de la rivière ne permettant pas qu’on remontât plus haut avec des prahous de bois de fer, je me vis forcé d’acheter quelques canots légers et de laisser à Pohon-Batou mes embarcations avec la plus grande partie de mes bagages. Je me rembarquai le 8 décembre, et je passai devant plusieurs bentengs ou villages fortifiés, dont le plus étendu, le kotta ou fort d’Hamporoi, contient deux cent cinquante-six habitants. Je m’y arrêtai pour y passer la nuit, et je fus traité amicalement par les chefs assemblés.
Le lendemain, à trois heures de l’après-midi, arrivé à l’embouchure du Miri, qui, après le Roungan, est le plus grand affluent du Kahayan, je me décidai à le remonter, quoique les îles nombreuses et les bancs de sable dont il est obstrué, en rendent la navigation très-difficile.
Les habitants du kampong Ohas nous firent mauvais accueil. Ils nous assignèrent pour gîte un caravansérail, dont le plancher est si peu solide qu’on craint d’y poser le pied. Le chef, homme brusque et rébarbatif, se plaignit amèrement du manque de vivres, et ce fut à grand-peine qu’il nous procura un petit poulet pour apaiser notre faim. Sur le soir, la pluie commença à tomber et le vent à souffler, ce qui nous incommoda beaucoup dans notre logis trop aéré. L’orage dura toute la nuit, et la rivière se gonfla à tel point que mes rameurs, malgré tous leurs efforts, ne pouvaient fendre le courant. Au kotta de Barou, l’on m’apprit que la partie supérieure du Miri n’offrait aucune particularité remarquable ; et, comme la navigation était entravée par les îles et les bancs de gravier, comme de plus je ne pouvais