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savoir combien de temps la crue m’arrêterait, je pris le parti de redescendre vers le Kahayan (10 décembre). Dès que nous eûmes quitté la rive, nous fûmes emportés par un rapide et fort courant ; les îles, que nous avions vues, étaient submergées, et l’eau trouble s"élevait jusqu’aux branches des arbres, sous lesquels nous avions cherché un ombrage.

Lorsque nous eûmes regagné le Kahayan, nous continuâmes à le remonter, et après quelques heures nous atteignîmes le kotta ou fort d’Hampallas, situé à 0° 50’20" au midi de l’équateur. C’est le village le plus septentrional qui s’élève sur les rives du fleuve, autrefois bordé d’habitations presque jusqu’à sa source. La dépopulation de la contrée est la conséquence des incursions des Ot-Pounans ou Njawongs, peuple errant dans les forêts. Comme toutes les tribus de race ot, ils se réunissent par petites bandes de cinq à dix, rarement vingt hommes, ils assaillent les familles isolées dans les ladangs (plantation, culture), les massacrent ou les réduisent en esclavage. Forcés d’émigrer, les riverains des sources du Kahayan sont descendus plus bas, ou sont allés s’établir sur les bords du Miri, du Sirat, du Sampa, du Melahoui.

Du Kotta d’Hampallas, on peut en sept jours se rendre à la source du Kahayan, qui sort des monts Kamintings, par 0°, 20’de latitude sud, et 111° de longitude est de Paris.

N’ayant ni les armes ni les provisions nécessaires pour entreprendre un voyage dans les contrées désertes que baigne le Kahayan supérieur, je dus me résoudre le 11 décembre à redescendre ce fleuve. Je m’arrêtai au kampong Kanaran, que je n’avais pas visité en montant, et je vis à l’entrée un gros canon de fer, rongé de rouille, dont on ne put me raconter l’histoire.

Je visitai également la kampong d’Aawaun, et je fis présent au chef d’un pavillon néerlandais ; j’y trouvai un jeune homme de Poulou-Petak, qui, dans ses voyages, avait appris, d’un autre Niadjou, à lire et à écrire, et qui avait profité de ses connaissances pour dresser la carte de la rivière Katingan. Il me la céda pour quatre gulden (huit francs) et quelques cahiers de papier.

Le soir, nous arrivâmes au balai tomoi de Pohon-Batou. Toundan me pria avec tant d’instances de le suivre chez lui, que je gravis une seconde fois le rocher de porphyre au-dessus duquel il a établi son aire. J’étais au terme de mon voyage le long du Kahayan ; j’avais maintenant à explorer le cours du Roungan, son plus grand affluent. Je résolus de me rendre par terre sur les bords de cette rivière, et de la descendre jusqu’à son confluent avec le Menoking, que je remonterais pour gagner le bassin du Katingan.


VI
District du haut Kahayan. — Tribus des Ot-Danoms. — Leurs mœurs, coutumes et superstitions. — Retour vers le bas du fleuve.

Le district du haut Kahayan comprenant toute la partie supérieure du bassin de ce fleuve, en amont du Labeo-Tampang, est le plus peuplé des trois districts arrosés par le fleuve. Il comprend quatorze kampongs et trente-trois kottas, et compte sept mille trois cent huit habitants, dont deux mille six cent vingt-huit sont établis le long du fleuve, et quatre mille six cent quatre-vingts le long de ses affluents.

Les Ot-Danoms, qui occupent les rives de tous ces cours d’eau, à l’exception de la partie du Kahayan située en aval du kotta Déwa, firent leur nom de la situation du pays qu’ils habitent : Danom signifie eau et ot supérieur. Ils sont de même race que leurs homonymes du Kapouas-Mouroung, et doivent peu différer des tribus dayakes qui vivent dans la partie orientale de l’île. <incoudeonly>

Danse nocturne des Ot-Danoms. — Dessin de Lançon d’après M. Schwaner.

</includeonly> Leurs principales industries sont le lavage de l’or et la culture du riz. Lorsque la poudre d’or se trouve au fond de la rivière, on conduit, à l’endroit où sont les sables aurifères, un petit radeau pourvu d’un appendice de soliveaux croisés, qui ressemble beaucoup à une grille garnie de sa charnière. On abaisse l’appendice qui sert à la fois d’échelle et d’ancre, et l’extrémité inférieure en est maintenue au fond de l’eau à l’aide de pierres qui y sont attachées. Les plongeurs, hommes et femmes, descendent le long de ce treillage pour pêcher le sable dans des plats de bois, et restent très-longtemps sous l’eau.

Les Ot-Danoms recueillent une si grande quantité de poudre d’or qu’avec ce seul article ils peuvent se procurer tous les produits étrangers dont ils ont besoin. Ils ne quittent jamais leur pays pour faire le commerce : ce sont les marchands de Poulou-Petak qui leur apportent ce qu’ils peuvent désirer.

Les mœurs des Ot-Danoms, ont beaucoup de rapport avec celles des Niadjous ou Biadjous, qui paraissent être de même race, et dont le nom fait allusion à cette communauté d’origine, puisque Niadjou signifie habitant des hautes terres. Les langues des deux peuples se ressemblent. Un Ot-Danom comprend les Niadjous et peut converser avec eux.

Il n’existe pas de troupes de bilians chez les Ot-Danoms : ce sont les femmes et les filles des riches qui remplacent ces espèces de bayadères des Dayaks du Sud. Ici, leurs fonctions se bornent à guérir les malades en exorcisant les esprits malfaisants, à conduire les âmes des trépassés au séjour des ancêtres, et à demander aux dieux le bonheur et la fortune. Pour qu’une fille ou femme soit digne de ce sacerdoce, il faut que l’âme d’un sangsang (ange) ait passé dans son corps ; de plus, tant que dure cette incarnation, elle doit s’abstenir de tout rapport avec sa famille.

Les âmes des morts n’attendent pas ici la cérémonie funèbre, comme chez les Niadjous, pour quitter cette terre. Dès que les cadavres sont étendus dans le cercueil, elles partent pour l’autre monde, sous la conduite d’un sangsang et au son des hymnes chantés par les bilians. Elles passent sur un pont qui commence à la maison mortuaire et aboutit au séjour des trépassés.

Le cadavre dans sa bière est d’abord porté en plein air ; plus tard on nettoie les os, on les brûle, et on recueille les cendres dans des urnes que l’on dépose au