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Grâce à cet acte généreux, Lado (c’est le nom du nègre, continue, m’a-t-on dit, à affectionner les blancs.

Vue du Nil Blanc. — Dessin de Karl Girardet d’après M. Lejean.

Enrichi par de fréquents voyages au Fleuve, Brun-Rollet réalise le rêve de presque tous ses confrères : il part pour l’Europe, visite Paris, s’y fait recevoir membre de la société de géographie, publie un livre et une carte qui lui font une réputation bruyante en Europe. C’était tout simple : malgré tous ses défauts, ce livre était sincère, plein de détails sur des populations avec lesquelles l’auteur avait fait ample connaissance, et inspirait plus de confiance que le livre savant mais partial de Ferdinand Werne. Celui-ci, reçu par pure obligeance à bord de la flottille qui fit l’expédition de 1840, ne reconnut cette courtoisie qu’en accablant d’épigrammes et d’injures tous ses compagnons, et principalement d’Arnaud. Brun-Rollet, lui, se borne à se louer lui-même, ce qui est certainement plus inoffensif.

Dans son voyage, Rollet obtint le titre de vice-consul, ou, comme on dit en italien, de proconsul de Sardaigne à Khartoum. Riche, célèbre, il ne lui restait plus qu’à se marier. Il avait une lettre de recommandation pour une honorable famille de Marseille, où il se présente : il y voit une charmante personne, nouvellement sortie de pension, aimable, spirituelle, bien élevée, et à qui l’aventureux voyageur ne déplaît pas ; si bien qu’un mariage s’ensuit, et quelques mois plus tard la colonie de Khartoum s’augmente d’une Française du meilleur ton qui entreprend la tâche fort difficile de plier son entourage à certaines convenances élémentaires… Rollet aimait sa femme. À part des habitudes peu élégantes auxquelles il ne put jamais renoncer, il ne lui donna pas de motifs de plainte. En 1856, quand une sorte de nostalgie, aggravée par des voyages périlleux, l’eut menée au tombeau, il ne tarda pas à l’y suivre.

Brun-Rollet avait pour confrère à Khartoum un compatriote avec lequel il vivait en très-mauvaise intelligence, le proconsul auquel il avait succédé en 1855, le hardi et malheureux Vaudey. C’était un traitant d’ivoire, venu de la Savoie et établi à Khartoum avec deux très-jeunes neveux devenus depuis chasseurs d’éléphants. Je n’ai pas connu Vaudey et n’ai eu que peu d’occasions de m’informer de lui ; mais des manuscrits qu’il a laissés m’ont donné de lui l’idée d’une nature intelligente et curieuse. Le premier, je crois, à Khartoum, il se préoccupa de la question des sources du Nil, et se préparait à entreprendre une expédition au delà des rapides de Garbo et du quatrième degré de latitude nord, quand il périt chez les Bary, dans la malheureuse échauffourée d’Ulibo que je raconterai en son lieu.

Ses neveux, MM. Ambroise et Jules Poncet, ont continué à la fois ses affaires et ses recherches scientifiques. Après avoir chassé longtemps l’éléphant le long de la Deuder, à la frontière d’Abyssinie, ils ont établi de nombreux postes de chasse et de commerce dans tout le bassin du Fleuve Blanc, et M. Jules Poncet a publié, en 1860, une carte de toute cette région, travail neuf que le public européen a accueilli avec sympathie. Ce n’est que le prélude d’études plus complètes, et notamment d’un volume de chasse au Soudan, que les deux frères préparent depuis longtemps et destinent à une publication prochaine.

G. Lejean.

(La suite à une autre livraison.)