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la main souvent moite dans ce climat brûlant. Un ceinturon beaucoup trop lâche soutient le fourreau de la baïonnette et une giberne monstrueuse qui pend au-dessous des basques de la veste et doit considérablement gêner leurs mouvements.

Le costume des officiers était varié. Tous portaient une simple veste, sans épaulettes, avec une attente, ou seulement un bouton de métal sur chaque épaule ; pantalon de fantaisie. Sur la tête une large casquette ronde et plate, galonnée, ou bien un shako réduit aux dimensions d’un képi français, ou bien encore le chapeau mexicain, aux vastes ailes horizontales, en feutre dur, blanc, gris ou roux. Les officiers supérieurs étaient en costume civil.

M. de Raousset s’introduisit en ville dans la soirée du 1er juillet.


Guaymas. — Aspect général. — Types. — L’aguador et son âne. — Le port.

Guaymas est situé par 27° 53’50’’de latitude nord et 113° 9’36’’de longitude ouest du méridien de Paris. Cette ville ressemble à San Jose, avec un aspect un peu moins misérable toutefois. Les maisons, en adobes sans exception, n’ont aucun cachet ; elles sont basses. Celles qui avoisinent les quais et la Plaza Mayor (la grande place) sont blanchies à la chaux ; quelques-unes ont un étage ; toutes occupent une vaste superficie. Les ouvertures extérieures sont rares et munies de fortes grilles faisant saillie en manière de cages. Pas de vitres, mais de grands volets de bois, avec un plus petit pratiqué au milieu. Chez les gens riches, le patio est transformé en jardin.

Bâtie sur un plateau resserré, entre la mer et des hauteurs escarpées, cette ville n’est susceptible que de peu d’extension. Je ne saurais préciser l’époque de sa fondation, mais elle doit à peine remonter à un siècle. L’établissement primitif se forma sous le nom de San Jose de Guaymas, à l’endroit où se trouve le rancho de San Jose, près du rio de ce nom, à deux lieues environ au nord-est du port. Cette partie de la baie n’étant pas accessible aux barques d’un certain tonnage, les besoins du commerce ont attiré peu à peu la population vers le mouillage actuel ; la ville nouvelle a conservé le nom de Guaymas, emprunté à la tribu d’Indiens qui habitait ces parages. Les bords du rio San Jose sont abandonnés à la culture maraîchère et quelques habitants aisés y possèdent des villas.

La vue de Guaymas est navrante. Les montagnes qui l’étreignent sont de teinte roussâtre ; leurs sommets dentelés ont des airs de ruines cyclopéennes ; des gorges sombres, des précipices les déchirent ; sur leurs flancs pelés quelques plantes grasses, quelques palmiers nains trouvent seuls un aliment. Le défilé par lequel nous étions arrivés est la seule voie de communication entre le port et l’intérieur du côté de la terre : c’est la route d’Hermosillo.

Il règne dans la ville un air d’abandon et de tristesse dont les vastes dimensions des maisons, le petit nombre des ouvertures extérieures, l’élévation de la température et l’absence de vie commerciale sont les principales causes. Les portes et les volets des fenêtres, fermés ou entre-bâillés le jour à cause de la chaleur, ne s’ouvrent que le soir ; chacun se lève avant l’aube et se couche de bonne heure ; beaucoup de gens transportent leurs lits dans les cours ou sur les azoteas (terrasses).

Les passants, quand on en voit dans les rues, errent comme des âmes en peine. Rarement on entend résonner le pas d’un cheval. De temps en temps seulement passe un personnage au cachet exotique ; c’est un cargador, portefaix indien, demi-nu, courbé sous un fardeau que retient à son front une large sangle, mais trottant légèrement, un bâton d’une main, son chapeau de l’autre ; — une frutera, marchande de fruits ; — une lavandera portant au bout d’un bâton les cotillons qu’elle vient de blanchir ; — un soldat en quête des faveurs de Cupidon ou de Bacchus, ou bien un aguador pressant son âne.

Dans toute l’Amérique espagnole l’aguador ou porteur d’eau est un type marqué, celui de Guaymas est particulièrement curieux. De même que le cargador et presque tous les artisans à Guaymas, c’est un Indien et, le plus souvent un Yaqui. Il est peu vêtu ; une chemise dont les manches sont retroussées et le col ouvert, un caleçon très-ample et presque toujours relevé jusqu’au genou, quelquefois des sandales, généralement les pieds nus, voilà tout. Un mouchoir de couleur enveloppe négligemment une chevelure abondante, longue et rude, et contribue à donner un volume disproportionné à sa tête déjà forte ; un chapeau de paille commune, trop étroit de forme, repose sur le front et ombrage la face. Son âne est petit, pelé, galeux, porte la tête basse et l’oreille pendante : qui sait de quoi le pauvre serviteur est nourri dans cet aride recoin du globe ?

L’eau qu’il porte est contenue dans deux outres, deux longs sacs carrés, suspendus à ses flancs qu’ils oppressent. Rien de plus primitif et de moins engageant. Ces peaux, non tannées, conservent, de ci, de là, quelques échantillons du poil dont elles furent ornées, et semblent être un appendice naturel du pauvre aliboron comme le goître d’un crétin du Valais. Toujours humides, elles ont des tons d’un vert bleuâtre sur lesquels le suintement de l’eau jette un glacis étrange. Une ouverture pratiquée à l’angle inférieur le plus rapproché de la tête de l’âne, cerclée de bois et mal fermée d’une cheville qui laisse échapper un filet constant, sert à remplir et à vider l’incommode machine. Il sort de là un liquide chaud et trouble qu’on reçoit dans des jarres de terre poreuse où elle se rafraîchit plus qu’elle ne se clarifie. Les outres épuisées, l’aguador prend une cigarette cachée derrière son oreille ou dans son chapeau, l’allume, puis il s’installe sur sa bête, à chevauchons, le visage tourné vers la queue, qui lui sert de fouet et de point d’appui, et il se laisse emporter négligemment à la noria.

Il n’y a ni ruisseaux ni fontaines dans les environs de Guaymas, si ce n’est le rio San Jose qu’une région presque impraticable sépare de la ville. Des puits ou norias, situés dans le faubourg du côté de la route d’Hermosillo,