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Page:Le Tour du monde - 05.djvu/306

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Dans les excursions ordinaires, on part de Naples dans l’après-midi. Une voiture vous dépose à Resina, au pied de la montagne. Aussitôt une foule de plébéiens obligeants vous entoure et s’empare de vous. L’un vous offre un âne, un mulet ou un cheval, l’autre en a de meilleurs, celui-ci se charge des torches, celui-là des vivres, un cinquième arrive avec des cordes, dix autres avec des bâtons ; surviennent d’autres âniers, puis vingt guides. Si vous descendez de voiture, des gamins vous débarrassent de votre manteau et de vos provisions et prennent les devants : tâchez de les suivre. Vous avez beau crier et vous démener, jouer des mains et des pieds, brandir votre canne, tout ce peuple ne se fâche pas et ne se décourage point. Vingt hommes font route avec vous avec leurs instruments et leurs bêtes. Il y en a d’autres que vous ramassez en chemin et qui se joignent à la caravane : ils ont des pierres du Vésuve, des sous enchâssés dans des morceaux de lave, ou des brancards pour vous soulever de terre en cas de besoin. Vous trouvez de ces parasites officieux à tous les coins de route. Ils vous attendent, ils vous connaissent, ils vous appellent chevalier. Dès votre arrivée à Résine, on vous guette jusqu’au sommet du cône. Impossible à vous de disperser ces factieux, la route est libre. Vous ne pouvez les écarter qu’en leur jetant des sous, et c’est ce que vous avez de mieux à faire : sinon, prenez garde ! après une cruelle ascension, vous n’aurez rien vu du Vésuve : vous aurez passé six heures à vous mettre en éruption vous-même et à vomir des injures entrecoupées de coups de bâton.

Croyez-moi, ne descendez pas de voiture, et, sans colère, de sang-froid, en arrivant à Résine, parmi la foule qui vous envahit, choisissez un guide officiel, patenté : ce sont de braves gens qui ont du courage et de la probité et qui vous épargneront bien des piastres. Le guide se charge de tout et il sait les jurons nécessaires pour écarter les mendiants qui vous guettent. En vous voyant avec lui, les plus entêtés se découragent ; ils savent qu’ils n’auront rien. Laissez-vous conduire et montez bravement, sans vous inquiéter d’autre chose, que de vos bottes. Il y a cent à parier contre un qu’elles seront brûlées. Vous n’aurez rien à regretter, si cela vous est égal.

Le Vésuve, vu de Naples, est une montagne à deux têtes ; celle de gauche est le sommet de Somma, celle de droite est le volcan lui-même, une vallée se creuse entre les deux. À l’entrée de cette vallée, s’élèvent l’ermitage et l’observatoire, sur un plateau qui forme un belvédère naturel. On monte d’abord à l’ermitage.

On y arrivait autrefois par une grande et belle route, chef-d’œuvre du roi Ferdinand. Il en part de Naples, dans toutes les directions, d’aussi grandes et d’aussi belles qui font l’admiration des voyageurs. Elles s’allongent ainsi majestueusement pendant quelques lieues. Alors elles se négligent un peu, gardent leur poussière ou leur boue, jusqu’à ce qu’elles arrivent aux montagnes ; puis elles se rétrécissent en sentiers toujours plus mauvais qui deviennent bientôt impraticables et finissent par manquer tout à fait. Il y a encore des villages où l’on ne peut arriver qu’à pied, peut-être même des hameaux où l’on ne grimpe guère qu’au moyen d’échelles. Mais à l’ermitage du Vésuve, on se faisait voiturer tranquillement à deux chevaux : l’ermitage est à deux lieues de Naples.

Autrefois la route serpentait d’abord à travers des vergers chargés de fruits et des vignobles qui produisent d’excellent vin, quand on le boit pur, mais exécrable quand il est frelaté sous l’étiquette sacrilége de lacryma Christi. Plus haut, on commençait à trouver des rochers de lave et à côtoyer des ravins pierreux et noirâtres. On descendait de voiture à l’ermitage, avec des forces toutes fraîches pour l’ascension.

Par malheur, la lave de 1858 a coupé la grande route en deux endroits, et avant de la réparer, le royaume d’Italie a beaucoup d’autres choses à faire. Vous êtes donc forcé de prendre un cheval à Résine et de grimper plus vite et plus droit, par un chemin fort peu tracé, jusqu’à l’humble maison où prie un prêtre à deux genoux, d’après un hémistiche de Victor Hugo. L’ermite actuel ne prie pas, mais il bat des omelettes à l’huile qu’il vend fort cher. Il a aussi du lacryma-christi qui se fabrique à Naples. Il a enfin une collection de volumes assez curieux à feuilleter : ce sont les registres où les passants écrivent leurs noms et leurs phrases. Il y a la de précieuses signatures, parmi beaucoup d’autres qui le sont moins. Mais on se console de coudoyer tant d’inconnus quand on rencontre çà et là des noms comme Lamartine, Alexandre Dumas (1837), — Marie Malibran (1833), — Monti (18 avril 1812), — Biron, qui ne dédaignait pas de s’inscrire et même de se graver partout : j’ai vu au château de Chillon, incrustées dans le pilier de Bonnivard, ses cinq majuscules glorieuses. — Encore deux signatures et je m’arrête : celle Gœthe, à la date du 7 septembre 1792, — et celle d’Alfieri, dans cette phrase qui paraît sublime aux Italiens : Qui Vittorio Alfieri, nel 1782.

Quand vous avez feuilleté cet album et payé l’ermite en admirant, avec Chateaubriand, « le spectacle de l’hospitalité chrétienne placée dans une petite cellule au pied d’un volcan et au milieu d’une tempête, » vous vous asseyez sous les arbres qui s’élèvent en face de l’ermitage et vous regardez à vos pieds la côte nonchalante qui va de Misène à Sorrente et se recourbe en mille sinuosités comme pour tenir plus de place au bord de la mer. C’est splendide, surtout le soir quand le soleil s’arrête un instant sur Ischia, comme une roue de feu qui redescend ensuite et disparaît derrière le sommet qu’elle embrasse. Mais le tableau qui m’est resté dans les yeux est un clair de lune vu de l’ermitage, pendant l’éruption de 1855 : — une moitié de la montagne dans l’ombre, le reste blanc, puis la mer lumineuse ; les hauteurs de Sorrente bronzées aux flancs, argentées au front, Capri dans une voie lactée étincelante ; plus loin, dans les brumes, Misène, Ischia, la mer lointaine et ce qu’on rêve au delà ; plus près, la ville, le fanal de son môle et les pâles réverbères de ses quais : une rangée de lucioles sous une lisière de maisons, — tout cela se déroulait