Page:Le Tour du monde - 05.djvu/307

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devant nous, à nos pieds, — et derrière nous, Jehovah flamboyait, et Dieu souriait sur nos têtes !

Mais marchons, nous avons tant à voir. Après l’ermitage, on ne va plus que sur un âne ou sur ses pieds. On passe devant l’observatoire d’où l’astronome, de Gasparis, découvrait, bon an mal an, une planète ou deux : son successeur, M. Luigi-Palmieri, s’occupe plus volontiers de tremblements de terre. L’observatoire est rempli d’instruments curieux qui n’empêchent point les commotions, mais qui les constatent ; le moindre mouvement du sol agite l’extrême sensibilité de ces appareils. Grâce au sismographe du Vésuve et aux savants qui ne le quittent pas des yeux nous avons appris que Torre del Greco s’était écroulée à la suite d’un éboulement du terrain. Et l’on nie la vanité de la science humaine.

Observatoire du Vésuve. — Dessin de Riou d’après un croquis envoyé par M. Marc Monnier.

Après l’observatoire, on s’engage dans la vallée qui sépare les deux montagnes, et on longe le cône du volcan jusqu’à ce qu’on trouve un point où l’ascension soit praticable. C’est alors que la fatigue commence réellement. Il n’y a plus ni chemins, ni sentiers, ni rien de pareil : ce n’est plus qu’un monceau de cendres et de scories. Ces scories figurent des éponges de fer : on ne peut dire autrement ni mieux ; le mot est du président de Brosses. Il y a encore « des tas de pierres, de terre, de fer, de soufre, d’alun, de verre, de bitume, de nitre, de terre cuite, de cuivre, pétris ou fondus d’une manière écumeuse, en forme de marcassites ou de mâchefer. Les pluies ont délayé cela à la longue, par où l’on voit quels sont les plus anciens ou les nouveaux dégorgements. Il n’y a rien, en vérité, de si hideux à voir ni de si fatigant à traverser que ces amas d’éponges de fer, aussi dures que raboteuses. Vous ne pouvez rien vous figurer de plus dégoûtant que ces infâmes déjections : on marche là-dessus avec une fatigue inconcevable. Toutes ces mottes de mâchefer roulent incessamment sous les pieds et vous font, grâce à la détestable rapidité du terrain, descendre deux toises quand vous croyez reculer d’un pas. » Ainsi parle très-exactement le président de Brosses.

Il peut se faire alors que vous ne soyez point fâché d’avoir commencé l’ascension en compagnie. Je me rappellerai toute ma vie un de mes amis qui, étant Suisse et ayant le pied montagnard, sourit de pitié en voyant le cône du Vésuve. « Quoi ! s’écria-t-il, c’est tout cela ? » Et il s’élança vers le cône. Au bout de cent pas, il s’arrêta essoufflé, puis il reprit sa course. Je marchais lentement derrière lui. Les scories roulaient sous ses pieds comme les pierres d’une maison qui s’effondre. Il fit cent pas encore et tomba tout de son long, s’écorchant aux mains et aux genoux. Il se releva sans rien dire et courut de plus belle : seconde chute ; il déchira cette fois ses vêtements du haut en bas. Alors seulement il daigna se rendre. Il prit d’abord le bras