Page:Le Tour du monde - 05.djvu/348

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réveillai au moment du départ, rempli de courage et sous le coup d’une émotion toute nouvelle. J’allais entrer sur le territoire ennemi ; j’allais voir enfin ces ruines magnifiques dont j’avais lu de si merveilleuses descriptions : il n’y avait plus aucun danger à mes yeux, ou plutôt le danger ne faisait qu’ajouter un nouveau charme à cette expédition moitié artistique et moitié militaire. Ma troupe se composait de vingt-cinq soldats et Indiens, et devait se grossir à Piste. C’était une faible escorte ; cependant je jetais des yeux satisfaits sur cette troupe bariolée, je me voyais à la tête d’une expédition originale et je pensais avec quelque fierté, je l’avoue, qu’on avait rarement fait de la photographie dans ces conditions.

À partir d’Izamal, en se dirigeant sur Citaz et Valladolid[1], le pays, de complétement plat qu’il était, commence à légèrement onduler. Ces ondulations se dirigent du nord au sud, rappelant les vagues de la mer ; elles vont croissant en hauteur quand on s’approche de Valladolid, jusqu’à atteindre une hauteur moyenne de quinze à vingt pieds. À partir de Citaz, en se dirigeant sur Piste, c’est-à-dire au sud-ouest, le sol devient brisé, hérissé de petits monticules ; aussi quand nous partîmes au petit jour, perchés sur des selles détraquées, le cheval retenu par un simple bridon, je fus quelque temps à prendre mon assiette, craignant à tout moment de voir ma monture se couronner sur les roches du sentier.

Façade nord du palais des Nonnes, à Chichen-Itza. — Dessin de Guiaud d’après une photographie de M. Charnay.

Les jambes pendantes, la figure battue par les branches des arbres, quelquefois enlacé par les lianes, il fallait une attention soutenue pour garder son équilibre ; il y avait loin de là aux belles cavalcades du paseo de Mexico.

Le cheval, cependant, accoutumé aux difficultés de la route, trébuchait sans tomber, et nous arrivâmes sans encombre à un rancho, distant de trois lieues de Citaz, où nous entrâmes nous reposer. Le soleil était haut, la chaleur suffocante, la route monotone, et la tristesse qui chargeait l’atmosphère semblait croître à mesure que nous nous éloignions des centres habités.

Ce rancho, ou petite habitation, était le seul reste d’un village autrefois florissant, maintenant désert. Autour de nous l’on n’apercevait que des ruines noircies par le feu, et l’ancienne église effondrée ne laissait voir que son clocher ruiné et ses murailles déjà couvertes d’une végétation parasite.

L’habitant de cette cabane isolée écrasait au moyen d’un trapiche, moulin primitif, manœuvré par une mule, des cannes à sucre, dont le rendement mis en énormes pains faisait toute sa fortune ; trois ou quatre femmes métis composaient le personnel de l’habitation. Le propriétaire nous offrit immédiatement un jicara de po-.

  1. Vainqueur des Kupules ; le neveu de l’adelantado Montejo fonda Valladolid en 1543, sur le territoire de Chauachaâ.