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heureux village, je dépouille une hacienda : je suis prononcé ;

J’agis pour le plus grand bien de la république. Qu’avez-vous à dire ?

Je fais boule, la paresse grossit mes rangs, le hasard me protége, je me bats bien, la fortune arrive, et je me trouve, un peu surpris je l’avoue, sur le siége de la présidence.

Hier j’étais valet dans un consulat, je suis général aujourd’hui ; je faisais, il y a cinq ans, le saut de carpe dans un cirque, je commande la place de Mexico ; il y a deux ans, j’étais simple lieutenant, me voilà substitut président ; je n’ai rien, les ressources manquent, mes troupes désertent ; j’enfonce les caisses du consulat d’Angleterre. Que voulez-vous de mieux ?

C’est ce qu’on voit tous les jours.

Mais le portrait du Mexicain a été tracé par notre honorable ami le docteur Jourdanet dans son remarquable ouvrage : les Altitudes de l’Amérique tropicale, comparées au niveau des mers[1]. Qu’on nous permette de le citer :

« Le Mexicain est de taille moyenne ; sa physionomie porte l’empreinte de la douceur et de la timidité ; il a le pied mignon, la main parfaite. Son œil est noir ; le dessin en est dur, et cependant sous les longs cils qui le voilent, et par l’habitude de l’affabilité, l’expression en est d’une douceur extrême ; la bouche est un peu grande et le trait en est mal défini ; mais sous ces lèvres toujours prêtes à vous accueillir d’un sourire, les dents sont blanches et bien rangées. Le nez est presque toujours droit, quelquefois un peu aplati, rarement aquilin. Les cheveux sont noirs, souvent plats, et couvrent trop amplement un front qu’on regrette de voir si déprimé. Ce n’est pas la un modèle académique, et pourtant, quand la suave expression féminine vous présente cette forme américaine que l’école traiterait peut-être d’incorrecte, vous imposez silence aux exigences du dessin, et vos sympathies approuvent le nouveau modèle.

« Le Mexicain des hauteurs a l’aspect calme d’un homme maître de lui ; il a la démarche aisée, les manières polies, l’œil attentif à vous plaire. Il pourra vous haïr, mais il ne saurait vous manquer d’égards en vous parlant. Quoi que vous ayez fait contre lui, quoi qu’il médite contre vous, son habitude de l’urbanité vous assure toujours une politesse exquise en dehors du cercle de ses ressentiments.

« Beaucoup de gens appellent cela de la fausseté de caractère ; je les laisse dire et je ne m’en plais pas moins à vivre parmi des hommes qui, par la douceur de leur sourire, l’aménité de leurs manières et leur obstination à me plaire, m’entourent de tous les dehors de l’amitié et de la plus cordiale bienveillance.

« Le Mexicain aime à jouir, mais il jouit sans calcul ; il prépare sa ruine sans inquiétude et se soumet avec calme au malheur. Ce désir du bien-être et cette indifférence dans la souffrance sont deux nuances du caractère mexicain bien dignes de remarque ; ces hommes craignent la mort, mais ils se résignent facilement quand elle approche : mélange étrange de stoïcisme et de timidité.

« Dans la basse classe le mépris de la mort est de bon ton, et, comme les gladiateurs romains, ils aiment à poser en mourant. C’est pour cela qu’ils font échange de coups de poignard comme nous donnerions des chiquenaudes. Et puis à l’hôpital, ils vous disent avec calme, au milieu de leurs mortelles souffrances : « Bien touché ! » rendant hommage avant d’expirer à l’adresse de leurs adversaires. »

Dans le fond, cet élégant portrait n’est pas aussi doux qu’il en a l’air.

Quoi qu’il en soit, on ne peut, en voyant l’état des choses au Mexique, s’empêcher de jeter un coup d’œil sur la république américaine sa voisine, dont le gouvernement, au dire d’un écrivain célèbre (M. de Toqueville), n’est qu’une heureuse anarchie, et qui, néanmoins, marche à pas de géant dans les voies les plus avancées du progrès matériel, soutenue par cette seule force : le travail.

Le Mexique est mieux doué ; il a tous les climats, toutes les productions, toutes les richesses : il dépérit ; je n’accuse point son organisation, je n’accuse que l’homme : il a le travail en horreur.

Ce qui surprend dans toutes les villes mexicaines, c’est le nombre prodigieux des églises, signe incontestable de la toute-puissance du clergé. Ce ne sont partout que moines gris, noirs, blancs et bleus, couvents de femmes, établissements religieux, chapelles miraculeuses. À toute heure du jour, on voit s’ouvrir les portes du sagrario ; un prêtre en sort tenant à la main le saint viatique : une voiture dorée attelée de deux mules pie l’attend au dehors, il y monte ; une espèce de lepero le précède portant sur sa tête une petite table, à la main une cloche qu’il agite à chaque instant ; aussitôt le poste du palais court aux armes, les tambours battent aux champs, la circulation s’arrête, les âmes pieuses s’agenouillent, l’étranger se découvre, le nouvel arrivé s’étonne, interroge, hésite, jusqu’à ce qu’une voix du peuple vienne le rappeler au respect de la coutume. Ce ne serait point sans danger pour sa personne qu’il se hasarderait à la braver.

Quelquefois ce n’est pas seulement une voiture simplement dorée, la voiture de tous les jours, et qui ne porte qu’aux prolétaires les derniers secours de la religion. Le riche, comme partout, demande à l’Église le luxe de ses pompes ; vivant ou mort, il réclame également l’hommage, ou tout au moins l’étonnement de la multitude.

Alors le prêtre en habits sacerdotaux, flanqué de deux diacres, monte en un superbe carrosse de gala rappelant les équipages de Louis XIV ; une foule bigarrée l’accompagne, divisée en deux longues files. Chaque individu portant un cierge allumé psalmodie d’une voix traînarde des prières, des psaumes ou l’office des agonisants.

  1. Baillière et fils, 1861.