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la recherche de l’ivoire. M. Petherick me trouvant peut-être trop nouveau encore dans le pays, ne me permit pas d’être de la partie. Mais me chargeant d’expédier par les barques l’ivoire existant à notre arrivée dans l’établissement et me laissant avec huit soldats à la garde de celui-ci, il partit avec le reste de notre monde divisé en plusieurs groupes dirigés sur divers points.

À vrai dire, pour mon premier voyage, j’aurais préféré faire partie de l’expédition que de rester seul à l’établissement, avec huit soldats, deux drogmans et deux domestiques au beau milieu du Bahr-el-Gazal. J’avoue donc franchement que mes premières journées furent peu de mon goût. Mais elles suffirent, en me forçant à observer les choses, à me faire comprendre clairement la situation nouvelle où je me trouvais placé. Je profitai de l’occasion, et voici comment.

Je commençai par me renseigner près des drogmans de l’allure des choses qui m’embarrassaient le plus, et tout bien pesé, je crus utile d’établir les règles suivantes tant pour le bon ordre intérieur de l’établissement que pour les relations pacifiques que je désirais maintenir avec les indigènes.

1o Il était sévèrement interdit à tout noir de pénétrer dans l’intérieur de l’établissement avec des armes ou des bâtons ferrés ;

2o Les ventes ou échanges devaient se faire en dehors de l’établissement, sous quelques tamarins qui ombrageaient d’ailleurs délicieusement une place située à quelques pas de l’entrée ;

3o Chaque soldat devait se tenir constamment prêt, en cas d’attaque, et deux sentinelles, placées chaque nuit à la porte, étaient obligées, afin qu’il leur fût impossible de dormir, d’entretenir un feu continuellement allumé ;

4o Le chef du village, Akondit, était chargé de pourvoir à tous les besoins de l’établissement ; et il faut avouer qu’il se montrait toujours prêt à tout. C’est bien le meilleur chef auquel nous ayons eu affaire, et il donnait, quand il s’absentait, les ordres les plus sévères à ses fils, pour l’exécution de toutes les conventions faites entre nous.

Ces dispositions prises, et voyant que tout marchait à souhait, je songeai à faire charger l’ivoire dans les barques, ainsi que me l’avait recommandé M. Petherick.

Notre zériba (établissement) était une enceinte carrée de plus de cent pas de côté, formée d’épines et de troncs d’arbres de la grosseur des deux bras au plus. Elle se composait de vingt-deux cases, y compris le grand magasin de dépôt. Devant la porte, croissaient quelques tamarins sous lesquels se faisaient les transactions avec les indigènes. L’établissement lui-même était entouré par les tukuls (cases) des noirs, mais à une distance de vingt pas, à l’exception de celles du chef qui étaient très-voisines des nôtres, mais toujours en dehors de notre enceinte.

Les indigènes sont de la tribu des Djour (ou schelouk) qui est une des plus grandes qui habitent l’intérieur du Bahr-el-Gazal. Elle est en guerre continuelle avec les Dôor dont je parlerai plus tard. Ceux-ci sont en effet privés de bestiaux et doivent s’en approvisionner chez les Mondjan (Dinkas) qui en possèdent beaucoup, surtout à cornes, et avec lesquels ils guerroient pourtant sans cesse.

Les Djour, comme la plupart des noirs, ne chassent pas volontiers l’éléphant. Mais ils creusent d’énormes fosses, couvertes de petits bâtons cachés eux-mêmes par de la paille. Presque toujours ces fosses sont situées sous quelque egligh ou arbre de l’éléphant, cet animal étant en effet très-friand de son feuillage. Quand un éléphant passe par ce labyrinthe de fosses, il est bien rare qu’il en puisse sortir.

À deux heures de marche de la zériba, en se dirigeant vers l’ouest, le terrain commence à devenir d’un rouge brique, et un peu au delà se trouve le village appelé Medjadama où finit la race noire, et où commence la race rouge des Dôor.’


Les Dôor, peuple cuivré. — Leurs guerres : coutumes féroces. — Mines de cuivre de Hofrat-el-Nahas.

Le pays des Dôor est distant de six heures, vers l’ouest, de notre établissement, et le village des Adjau est le premier de cette sauvage tribu que l’on rencontre. C’est une de leurs plus grandes bourgades, la plus connue et la mieux située, grâce à la disposition des nombreux tukuls dispersés çà et là sous les arbres qui les couvrent de leurs ombres et de leurs feuillages. Ainsi que je l’ai dit dans le chapitre précédent, le pays des Dôor diffère beaucoup, à première vue, des autres régions que nous avons traversées. La plus grande dissemblance est surtout dans le changement de couleur du terrain et des indigènes eux-mêmes, celui-là devenant d’un rouge brique tandis que ceux-ci tournent au cuivre poli. Il est curieux de voir des arbres immenses dont les troncs sont entourés de monticules de terre rouge élevés par les fourmis blanches qui abondent dans ce pays, et il est aussi très-intéressant de suivre la ligne de démarcation que semble tracer entre les deux tribus des Djour et des Dôor, un peu au delà de notre établissement, la différence si tranchée de couleur des terrains. — Pas n’est besoin de dire que ces deux tribus sont constamment en guerre, puisque les Dôor eux-mêmes dans leur propre village se battent continuellement, famille contre famille, et pour les causes les plus futiles. — Il semble vraiment que cette passion de la guerre soit innée chez ces derniers, puisque l’on y voit des enfants de dix ans à peine armés d’arcs et de flèches se retrancher dans les bois pour s’exercer au maniement et au tir de ces armes où ils deviennent très-habiles, sans compter que leurs flèches sont toujours empoisonnées.

Sans avoir jamais assisté à leurs guerres, j’ai pu juger, par quelques trophées que j’ai vus dans quelques-uns de leurs villages, des horreurs qui s’y commettent ; les ossements humains entassés sous un arbre du village même ne le prouvaient que trop. — C’est leur usage de s’emparer des cadavres de leurs ennemis et de les transporter en triomphe dans leurs bourgades. Après trois jours de continuelles orgies, on en jette certaines parties à quelque distance et le reste est attaché aux arbres, jusqu’à ce que parfaitement desséchés les osse-