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La Siegesthor est la copie de l’arc de Constantin à Rome, et la basilique de Saint-Boniface, une réduction de Saint-Paul hors des murs.

L’église Saint-Louis et la nouvelle chapelle de la cour appartiennent au style byzantin et Sainte-Marie de Bon-Secours au pur ogival.

Au palais Wittelsbach on a copié le quatorzième et le quinzième siècle.

La Nouvelle-Résidence est le palais Pitti, et le ministère des mines, la Loggia de Lanzi.

On retrouve le moyen âge italien dans l’Institut des aveugles et à la Bibliothèque royale, la Renaissance dans les palais du duc Maximilien et du prince Charles.

On dirait que Palladio ou quelque artiste de Venise a élevé le palais des Salles de fête, et l’Hôtel de la guerre, la Salle des maréchaux (Feldherren halle) viennent tout droit de Florence.

Je ne me plains pas qu’on ait fait toutes ces copies. Je félicite Munich de les avoir, et je voudrais bien que Paris les possédât, parce que, à reconstruire et à voir ces belles choses, des talents se forment, et qu’un tel milieu est trop favorable aux artistes pour ne l’être pas aussi à l’art. Le roi Louis a donc bien rempli sa tâche de roi en donnant de si grandes facilités au talent de se produire. Les architectes ont-ils aussi bien accompli la leur ? il y a dans les détails du goût, de l’esprit, de l’invention même. L’ordonnance intérieure, la distribution des salles et des jours, dans les musées de Munich, devront être étudiées chaque fois qu’on voudra construire ailleurs des édifices analogues. Mais la conception de l’ensemble à qui revient-elle, et l’art nouveau où est-il ?

Je sais bien que les Grecs, les Romains et les Arabes ont depuis longtemps trouvé toutes les lettres de l’alphabet avec lequel l’artiste doit écrire son poëme de pierre, je veux dire les éléments de l’art architectural. Mais si le nombre de ces éléments est nécessairement borné, les combinaisons auxquelles ils se prêtent sont innombrables. On croyait avoir tout épuisé, quand deux arcs romains se coupant ont donné l’ogive, quand dix colonnes grecques accouplées ont fourni les piliers à la fois puissants et légers de nos cathédrales ; et la Renaissance jetant au milieu de tous les styles son caprice contenu, sa fantaisie réglée, son imagination élégante et vive, répandit sur toutes les vieilles choses le souffle créateur. Un art charmant approprié à nos climats et à nos mœurs en naquit. Pourquoi la gracieuse fleur s’est-elle fanée si vite ? Ni Klenze, ni Gärtner, ni Ziebland ne l’ont retrouvée[1].

Ajoutez que ces monuments de l’Italie et de la Grèce ont froid sous le ciel inclément de Munich, dont la température moyenne est celle de Stockholm, car il y a un rapport nécessaire que l’art ne peut impunément méconnaître entre l’architecture d’un pays et son climat ; ajoutez encore que le sol plat où ils se trouvent les empêche de se dominer réciproquement et de former comme à Athènes, à Rome et à Paris même, ces belles masses pittoresques où la valeur de chaque partie est doublée par celle de l’ensemble ; qu’enfin, jetés au hasard dans une campagne dont la ville n’a pas encore pris pleinement possession, il y a autour d’eux ce silence qui convient aux ruines, mais non aux édifices nouveaux vers lesquels on veut attirer la foule. La Ludwigsstrasse, voie monumentale, entre un arc de triomphe et un palais de roi, est un désert qui ne devient une rue qu’à son extrémité où elle se confond avec la vieille ville. Pour animer ce vaste espace il faudrait y faire descendre et vivre tout le peuple muet des fresques.

West-End, à Londres, est aussi sans mouvement et sans bruit. Mais c’est le silence commandé par une riche et puissante aristocratie qui a voulu éloigner d’elle le tumulte importun de l’industrie et du commerce ; si le noble quartier étale une froide magnificence, il n’en est pas moins très-habité ; d’ailleurs, la Cité est à deux pas et l’esprit se plaît aux contrastes. Mais les palais qui bordent la Ludwigsstrasse sont pour la plupart des constructions administratives[2]. Il n’y entre et n’en sort que de modestes employés, en fort petit équipage. La vie n’y viendra jamais, et la vie est une partie de la beauté d’une ville d’Europe, comme le silence et la mort sont celle d’une nécropole d’Égypte.

Je voudrais bien vous décrire ces édifices, mais le crayon parle plus vite et mieux. Un mot seulement sur quelques-uns.

Celui dont Munich est le plus fier est la Ruhmeshalle avec le colosse de la Bavaria.

Au delà du faubourg Louis, au bout de pauvres constructions dont beaucoup n’ont que des planches pour clôtures, s’étend une prairie sans arbres, sans eau, parfaitement plate et couverte de ce maigre gazon des sols souvent piétinés que n’égaye jamais une fleur : un champ de cours ou de manœuvre. À son extrémité on a bâti, sur un tertre artificiel, un portique dont les colonnes ont des chapiteaux modelés sur ceux d’Égine, et sous lequel sont placés les bustes des grands hommes de la Bavière. Le roi Louis a pu en trouver près de quatre-vingts. Quatre-vingts grands hommes dans la petite Bavière, voila une terre privilégiée !

En avant de ce portique se dresse une statue de bronze haute de vingt mètres, de trente avec son piédestal, qui,

  1. Klenze a construit la Ruhmeshalle ou Temple de la gloire, la nouvelle chapelle de la cour, la Nouvelle-Résidence, la Glyptothèque, les palais Max et Leuchtenberg, l’obélisque de la Carolinenplatz ; Gärtner, la Salle des fêtes, l’Isarthor, la Siegesthor, la Bibliothèque, l’église Saint-Louis, le palais Wittelsbach ; Ziebland, Saint-Boniface ; Ohlmuller, Notre-Dame de Bon-Secours.

    Un architecte français, M. Lusson, qui admire beaucoup le roi Louis et Munich, est cependant forcé d’avouer « que la plupart de ces monuments sont des imitations, et que l’artiste n’y voit le plus souvent que l’inexpérience d’une jeune école qui mélange les styles ou les applique parfois sans discernement. » (Souvenirs d’un voyage à Munich, p. 77.) « À Munich, continue notre architecte, la peinture et la sculpture sont plus avancées que l’architecture. » Mais un peintre dira peut-être que les monuments y sont bien supérieurs aux tableaux.

  2. Le ministère de la guerre, la Bibliothèque, le Damenstiftsgebäude, l’Institut des aveugles, l’hôtel de l’administration des mines et des salines, l’Université, etc.