Page:Le Tour du monde - 06.djvu/184

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de la main gauche élevée au « dessus de sa tête, tient la couronne promise au victorieux[1]. Un lion est à ses pieds, et, de la main droite, elle serre une épée contre sa poitrine. La pose est noble et aisée. La statue semble irréprochable, et pourtant je ne suis pas satisfait de l’ensemble.

Je n’ai jamais compris la théorie de l’art pour l’art. Un monument doit être en rapport avec le site qui le porte et l’entoure, avec l’idée qu’il exprime, avec le besoin qu’il satisfait. Cette plaine nue n’est pas la place qui convient à une statue de quatre-vingts pieds. Le portique placé derrière elle, qui ne lui vient qu’à la ceinture, n’empêche pas qu’elle ne projette dans l’azur du ciel une trop longue et maigre silhouette. Les colosses sont faits pour les lieux élevés. Il leur faut un piédestal immense, des temples tout alentour et une grande ville couchée à leurs pieds : le Palatin et Rome, comme à celui de Néron ; l’Acropole et Athènes, comme à la Minerve de Phidias. Que la Grèce, l’empire romain et la foi catholique aient fait de ces statues prodigieuses, je le comprends. L’Angleterre, la Russie et la France voudraient en avoir, je le comprendrais encore. Pour couronner des peuples géants, il faut des colosses. Mais la Bavière n’est pas, que je sache, si grande que pour atteindre à sa tête il soit besoin d’une statue de telle taille.

Disons-le, ni le lieu, ni l’histoire ne demandaient la Bavaria. Mais le roi voulait mettre de tout dans Munich : il y mit un colosse.

La Bavaria, à Munich.

À Paris nous n’avons rien d’analogue, mais seulement deux colonnes surmontées de deux statues qui symbolisent toute notre histoire : celle de Napoléon, ou, disons mieux, le génie même de la guerre qui, de son œil de bronze, regarde avec amour ses légions victorieuses montant vers lui en spirales triomphantes ; l’autre, qui n’a pas de nom et cependant qui ne couronne rien ni personne, c’est le génie de la liberté. Il s’élance vers la grande ville et sur le monde, tenant d’une main un flambeau et de l’autre des chaînes rompues. Sont-ce celles de la Bastille écroulée ou de l’esprit humain affranchi ? L’une et l’autre ; l’Allemagne, du moins dans ses moments lucides, le reconnaît et le dit[2].

Comme tous les badauds, je montai dans l’intérieur de la statue. Nous arrivâmes cinq au banc de bronze établi dans sa tête. Nous étions fort serrés en cet étroit espace, ce qui n’empêche pas que je ne lise dans une description de Munich, imprimée à Munich et composée par un professeur de l’Université de Munich, que trente personnes y tiennent à l’aise. Les autres livres n’ont pas manqué de répéter cela. Pourquoi ne pas dire tout de suite qu’on y donne des fêtes. Là où trente personnes peuvent tenir, une maîtresse de maison de Paris trouverait moyen d’en faire danser au moins vingt[3].

  1. La hauteur, à partir du piédestal jusqu’au sommet de la tête, n’est que de quinze mètres trente-cinq centimètres : jusqu’au bout de la main, de dix-neuf mètres vingt-sept centimètres.
  2. La Gazette prussienne, reproduisant dans son numéro du 24 mars 1861 un article de la feuille hebdomadaire prussienne, disait : « La France marche à la tête des principes de 1789 ; c’est la véritable mère des libertés nationales. »
  3. « Eine Treppe führt un Inneren vom Fussgestell bis in des ko-