Page:Le Tour du monde - 06.djvu/387

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un abrégé de leur histoire, de leurs prophéties et de leurs doctrines, qu’il grava sur des lames de métal. Plus tard, il fut tué lui-même, et les Annales tombèrent dans les mains de son fils Moroni, qui, traqué à son tour par ses ennemis, reçut d’en haut l’ordre de les enfouir en terre, avec la promesse de Dieu qu’elles seraient conservées et mises en lumière, dans les derniers jours, par une nation de gentils appelée à posséder le monde. Ce dépôt, fait vers l’an 420, sur une colline nommée Cumora, située dans le comté d’Ontario, resta intact jusqu’au jour où il fut effectivement mis en lumière par le ministère même des anges, et traduit par inspiration. Telle est la version même de Smith.

On se demande comment cet homme incontestablement habile, mais fort peu lettré, aurait pu écrire le Livre de Mormon. La réponse n’est que trop facile, s’il faut en croire l’histoire suivante, regardée comme authentique par tous les adversaires du mormonisme, et qui paraît au moins très-vraisemblable.

Ils disent donc qu’en l’année 1809, le nommé Salomon Spaulding, autrefois ministre d’une église protestante quelconque, fit de mauvaises affaires dans l’État de New-York. C’était un homme lettré, que les revers du commerce rendirent aux lettres. Son attention avait été éveillée par une controverse, alors assez animée, sur cette question : « Les Indiens d’Amérique descendent-ils réellement des dix tribus dispersées d’Israël ? » Il crut trouver dans ce thème le fond d’un roman historique, auquel il travailla trois années, et qu’il intitula : le Manuscrit trouvé. Mormon et son fils Moroni, qui jouent un si grand rôle dans le Livre d’or, sont au nombre des principaux personnages de l’œuvre de Salomon Spaulding. En 1812, le manuscrit fut présenté à un imprimeur nommé Patterson, résidant à Pittsbourg, en Pensylvanie ; mais l’auteur étant mort avant la conclusion d’aucun arrangement, M. Patterson ne songea pas davantage à cette affaire ; lui-même mourut en 1826, et le manuscrit resta entre les mains de son prote principal. Or celui-ci n’était autre que Sidney Rigdon, qui devint plus tard l’Omar, ou si l’on aime mieux, le compère du nouveau Mahomet.

Il va sans dire que nul, du vivant de Smith, ni depuis sa mort, n’a vu le fameux Livre d’or, mais nous pouvons offrir à nos lecteurs trois lignes soi-disant copiées exactement sur les plaques originales de Mormon. Il n’est aucune personne un peu familière avec les écritures des temps antiques qui ne reconnaisse que ces caractères prétendus égyptiens n’appartiennent à aucun alphabet, et sont des signes inventés à plaisir par quelque ignorant[1].

Fac-simile de caractères tirés, sur la foi des Saints, des plaques originales du livre de Mormon, publié par M. J. Remy.

Quoi qu’il en soit, Joseph Smith junior lance audacieusement sa prétendue traduction au milieu de la multitude ignorante et craintive, dont les esprits agités rappelaient ces petites boules de sureau qui dansent sur une plaque électrisée. Il organise sans hésiter son église des saints des derniers jours, église qui ne compte d’abord que son père, ses deux frères et quelques étrangers. Parmi ces derniers, on remarque Sidney Rigdon et Parley Pratt, tous deux plus lettrés que lui et sachant mieux manier la parole. Trop fin pour tremper dans la sottise des millénaires assez stupides pour assigner sans cesse de nouvelles dates à la fin du monde et pour donner ainsi maintes fois le ridicule spectacle de prédictions démenties, Smith, tout en s’appuyant sur les mêmes prophéties qu’eux, en modifia l’interprétation et les appliqua à la seconde venue du Christ, au règne de mille ans, au millenium enfin. Sa doctrine se para ainsi et s’arma d’une obscurité qui épargna aux nouveaux disciples ces échecs en prophétie dont les millénairiens avaient eu à se plaindre, et qui, en même temps, permit aux apôtres du mormonisme de profiter de l’affaissement et du trouble alors régnant dans les consciences.

Aussi la nouvelle religion était à peine révélée qu’elle fut avidement adoptée par de nombreux convertis de tout âge et de tout sexe, pris, il est vrai, à la classe ignorante et vulgaire de la population. Il était difficile, d’ailleurs, d’agir par de tels moyens sur les personnes éclairées et les esprits cultivés. Remarquons pourtant par anticipation qu’en Angleterre, dans le pays de Galles, en Scandinavie et dans les autres contrées de l’Europe où la propagande mormone a pénétré, le niveau intellectuel des néophytes a été sensiblement plus élevé que celui des premiers prosélytes du nouveau monde. Les recrues faites dans l’ancien continent sont presque toutes sorties du

  1. J. Remy, 1-2, p. 455.