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percée, et l’ouverture graduellement agrandie au moyen d’un fragment de bambou qu’on y insère, jusqu’à ce qu’on y puisse fixer un anneau de deux pouces de diamètre, qui tire la lèvre en bas parfois jusque sur le menton. Ce hideux ornement est la plus grande coquetterie des femmes. C’est une chose merveilleuse que l’imagination des races sauvages pour dépraver et gâter la nature. Chez nous, du moins, on se contente de l’exagérer.

Un petit vapeur construit de manière à se démonter pour franchir les cataractes du Chiré, devait d’ailleurs retourner bientôt jusqu’au lac à la date des dernières lettres de M. Livingstone, et on peut ainsi attendre encore de ce côté une exploration complète et circonstanciée. Ce qui apporte un stimulant de plus à ces reconnaissances anglaises, c’est que les pays qui avoisinent le Nyanza sont signalés par le voyageur, ainsi que par son frère Charles Livingstone, de qui l’on a aussi des communications fort intéressantes, comme admirablement propres à la culture en grand du coton, cette souveraine préoccupation de l’époque actuelle.


II

Un tour rapide en Amérique. — La Colombie anglaise et l’île de Vancouver. — La Guyane française. — Le Mexique et l’isthme américain.

Nous avons à enregistrer, on le voit, plus d’études et d’explorations de détail que de résultats généraux. Mais ce sont ces études de chaque jour, ce sont ces explorations progressives et incessantes qui remplissent peu à peu les blancs de nos cartes ou en corrigent les erreurs, préparant ainsi l’apparition des relations scientifiques qui apportent avec elles une masse imposante d’informations coordonnées, et qui marquent les grandes étapes de l’histoire géographique d’un continent.

La guerre acharnée qui désole les ci-devant États-Unis de l’Amérique du Nord a dû, naturellement, suspendre de ce côté toutes les études scientifiques des territoires de l’ouest, projetées ou en cours d’exécution. Parmi les autres contrées du continent américain sur lesquelles on a reçu dans ces derniers temps des informations notables, les nouveaux établissements anglais de la côte Nord-Ouest sont au premier rang. Ces nouveaux territoires britanniques, qui touchent d’un côté à l’Orégon américain et de l’autre à l’Amérique russe, et qui ont reçu le nom de British Columbia, étaient à peu près inconnus il y a quelques années ; la découverte de gisements aurifères, dont la renommée, dans le premier moment, exagéra peut-être la richesse, a porté tout à coup vers ces froids et tristes parages un énorme flot d’immigrants. Aujourd’hui l’établissement s’organise en vue d’un avenir basé sur l’exploitation du sol non moins que sur le travail des mines. Depuis quatre ans, particulièrement, des reconnaissances officielles ont été poussées en diverses directions, pour étudier la nature du pays, en compléter la géologie, et aussi rechercher les emplacements les plus propres à fonder des centres d’habitation. Le dernier volume du journal de la Société de géographie de Londres ne renferme pas moins de six mémoires ou rapports sur la Colombie continentale et sur l’île de Vancouver ; et la librairie anglaise en a publié en outre depuis quelques mois plusieurs relations considérables, bien qu’un peu hâtives. Dans ces premiers jets de l’ardeur coloniale, on ne laisse pas de trouver de nombreux renseignements, tout à fait neufs, cela va sans dire, dont la géographie et l’ethnographie américaine feront leur profit. Au total, nous avons là un coin de la carte du nouveau monde — et ce coin est bien deux fois grand comme l’Angleterre — qui se couvre chaque jour de détails, comme le pays lui-même se couvre d’immigrants.

Les renseignements rapportés par une commission mixte franco-hollandaise, qui, dans les trois derniers mois de 1861, a opéré une reconnaissance complète du fleuve Maroni, n’embrassent pas un aussi grand développement territorial ; mais ils n’en ont pas moins un intérêt considérable à certains égards, et cet intérêt nous touche plus directement.

La Guyane, on le sait, est une contrée de l’Amérique du Sud comprise entre l’Orénoque et l’Amazone, depuis le 9e degré de latitude septentrionale jusqu’à l’équateur ; dans cet intervalle, le développement de côtes que cette grande contrée présente aux flots de l’Atlantique n’est pas de moins de neuf cents lieues marines[1], qui répondent à trois cent soixante-quinze de nos lieues communes[2], ou près de dix-sept cents kilomètres. Cinq puissances colonisatrices se sont partagé cet immense domaine, bien qu’aucune n’y ait poussé ses établissements bien loin dans l’intérieur : c’est, à partir de l’Orénoque, l’Espagne[3], l’Angleterre, la Hollande, la France et le Brésil. La Guyane française a pour limite au nord-ouest, du côté de la Guyane hollandaise, le Maroni, au sud, du côté des territoires brésiliens, l’Oyapoc : limites assez incertaines et mal définies, qui, du côté du Brésil au moins, ont été a plusieurs reprises l’occasion de longues controverses. Quoiqu’il n’y ait pas eu de discussion semblable du côté de la colonie hollandaise, à cause du peu d’intérêt que les deux gouvernements devaient prendre à des territoires intérieurs tout à fait sauvages et inexplorés, il y a eu néanmoins de temps à autre quelques velléités de reconnaissances, particulièrement au temps ou M. Malouet, il y a tout près d’un siècle, reçut mission d’appliquer dans la colonie française ses plans sagement conçus de réforme administrative. Les projets d’établissements pénitentiaires arrêtés dans ces derniers temps et déjà réalisés en partie, ont ramené l’attention de ce côté. Une première reconnaissance, au mois de novembre 1860, prépara les voies ; c’est à la suite de cette étude préliminaire qu’une convention a été conclue avec le gouvernement colonial de Surinam pour la formation d’une commission mixte, chargée de relever le cours du fleuve dans toute son étendue en remontant

  1. De soixante au degré équatorial.
  2. De vingt-cinq au degré.
  3. La Guyane espagnole n’a jamais constitué une colonie distincte ; elle fait aujourd’hui partie de la république de Vénézuela.