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du bastion d’Auvergne qui lui servait de défense, ses murs lézardés et ses créneaux décapités. Voisin de la cathédrale, il touchait autrefois à un édifice dont il ne reste plus que les fondations à fleur de terre : c’était la loge de saint Jean, la salle du conseil où s’assemblait le chapitre de l’ordre. Il y a quelques années seulement que la voûte s’est affaissée, et l’on n’en voit plus que la principale arcade en ogive, aux armes de Jean de Lastic, qui ouvre sur la rue à laquelle des traditions populaires ont conservé le nom de rue des Chevaliers.

Au milieu de ces ruines, et menacé du même sort, on voit un petit palais dont les fenêtres sont encadrées de moulures dans lesquelles s’entortillent des feuilles d’acanthe d’un travail délicat et gracieux. On croit que c’est le presbytère ou l’habitation réservée au clergé de la cathédrale qui s’élève à côté. L’église Saint-Jean, convertie en mosquée, est entourée de masures ou de ruines derrière lesquelles elle semble cacher sa honte. — Destinée bizarre ! — son nom lui est resté, comme celui de Sainte-Sophie a été conservé à l’antique basilique de Byzance, et, à Rhodes comme à Constantinople, les musulmans font la prière dans un temple qui est demeuré sous le vocable d’un saint chrétien. Ici, ils se prosternent sur les dalles où s’agenouillaient les chrétiens, et sous lesquelles reposent leurs cendres. C’est en face du sanctuaire où, entre deux assauts, l’Ile-Adam. et avant lui d’Aubusson, venaient recevoir le pain de la communion, que les Turcs invoquent le Dieu de Mahomet. La noblesse du sang, le courage et l’héroïsme religieux qui inspiraient jadis tant de belles actions, imposent assez de respect aujourd’hui encore aux fils de ceux qui en ont été les victimes, pour qu’ils craignent de porter une main sacrilége sur les monuments et les noms de ceux qui les ont illustrés. Combien de fois cette pensée ne se présente-t-elle pas à l’esprit quand on parcourt cette ville de Turcs, où chaque rue, chaque maison, on peut dire chaque pierre porte encore le sceau de son origine chrétienne, l’empreinte de cette foi belliqueuse si souvent fatale à l’islamisme et secourable à l’Europe, et dont l’Europe ne se souvient plus que comme d’une vieille légende poétique.

Porte du palais des grands maîtres, à Rhodes.


Eugène Flandin.

(La fin à la prochaine Livraison.)