Page:Le Tour du monde - 07.djvu/164

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clefs de leur empire est là, que plus d’une fois on est venu l’y chercher et l’y prendre, par exemple Moreau, après Hohenlinden, et Napoléon, après Ulm et Eckmühl, les Autrichiens l’ont enfermée sous des fortifications qu’ils estiment formidables. C’est un système de grosses tours rondes, avec glacis et fossés, communiquant entre elles par un chemin couvert et dont chacune peut croiser son feu avec celui de ses deux plus proches voisines. On en compte trente-deux, vingt-trois sur la rive droite, neuf sur la rive gauche, et une forte citadelle, celle du Pöstlingberg. Quelques-unes de ces tours sont à une assez grande distance de la ville ; l’ellipse qu’elles forment autour d’elle a deux grandes lieues de diamètre. Elles enveloppent donc un espace immense et font de Lintz un vaste camp retranché.

Vue de Lintz.

Ce système, imaginé vers 1828 par l’archiduc Maximilien d’Este, et depuis fort employé par les Allemands, a été jugé avec quelque sévérité par nos ingénieurs, qui ne semblent pas désireux de l’imiter. Les tours maximiliennes ont encore leur virginité : aucune n’a été prise ; il est vrai que pas une non plus n’a été assiégée. Puisque celui que les soldats appellent le brutal et qui, en ces choses, décide souverainement, n’a pas jusqu’à présent dit son mot, le champ reste ouvert aux discussions théoriques. Puissent-elles durer longtemps !

La disposition des lieux a été favorable à l’établissement de ces vastes fortifications. Les montagnes viennent des deux côtés du fleuve baigner leurs flancs abrupts dans le Danube qu’elles resserrent : au nord le Pöstlingberg, pointe extrême du Bœhmerwald, au sud les derniers contre-forts des monts du Salzbourg qui, au sortir de la Suisse autrichienne, rejettent la Salza à l’ouest, dans l’Inn, puis se recourbent au nord-est et longent la Traun jusqu’à Lintz. La ville s’étage sur leurs flancs, tandis que les forts se dressent sur leur crête et que des prairies onduleuses descendent vers la Traun.

L’embouchure de cette petite rivière, qui traverse une délicieuse contrée toute semée de lacs et de montagnes, est à quelque distance de Lintz, au village de Zizeiau, autrefois florissant, lorsqu’il était le port d’embarquement des produits des riches salines du Salzbourg que la rivière lui amenait. Un chemin de fer fait aujourd’hui ces transports et a ruiné la batellerie et le village. La locomotive est comme le char du dieu Indra : elle porte la vie avec elle, mais que de victimes elle broie sous ses roues !

Nous étions arrivés à cinq heures par un magnifique soleil. La douane nous fit perdre une heure, et, à l’hôtel où l’on me conduisit, on voulait m’en prendre deux autres pour me faire dîner. Je m’étais, il est vrai, fourvoyé dans un hôtel princier, où fourmillait tout un peuple de kellners habillés de noir et cravatés de blanc, saluant bas quand on arrive, ne saluant plus du tout quand on s’en va. Mais je voulais partir le lendemain matin, car je savais qu’il n’y avait de curieux à Lintz que son admirable situation. Depuis douze heures je regardais les choses d’en bas, du fil de l’eau ; j’étais pressé de les voir d’en haut, de la montagne. Je pris une voiture découverte et me fis conduire par le plus long au point culminant de la ville. De cette manière je vis bien vite qu’il n’y avait rien à voir.

Nous passâmes d’abord sur une place où se dresse une chose en marbre blanc qui tient à la fois de la colonne et de l’obélisque très-chargée de moulures, de sculptures, de personnages, et dédiée à la sainte Trinité, ce qui n’empêche pas qu’on ait mis dans son voisinage deux fontaines surmontées l’une d’un Jupiter et l’autre d’un Neptune. Dans la haute ville je vis l’ancien château royal, un gros bâtiment rouge dont on a fait une caserne et une prison, et qui ne pouvait guère servir à mieux ;