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plus loin, dans la campagne, sur le Freinberg, la première tour bâtie par l’archiduc Maximilien et qu’on a abandonnée aux jésuites. En Autriche ils héritent volontiers de l’État, à la différence d’autres pays où l’État hérite parfois d’eux.

Mais si l’art est pauvre dans la ville, la nature déploie dans la campagne toutes ses magnificences. Tant que nous avions monté, j’avais été plus sage que la femme de Loth : pas une fois je n’avais regardé en arrière. J’en fus récompensé lorsque je me retournai : le spectacle était éblouissant. Devant moi, sur la rive gauche, les montagnes de Bohême accouraient en moutonnant au bord du grand fleuve, comme un troupeau de buffles gigantesques qui venaient s’y désaltérer. Le roc perçait leurs flancs et çà et là montrait la forte membrure de la montagne dont une épaisse forêt couronnait la tête. Dans une éclaircie, la citadelle et l’église du Pöstlingberg avec la ligne rougeâtre de ses forts détachés ; puis auprès, d’autres collines, celles de la Magdalena, du Pfennig et des Vents, qui s’étendaient circulairement autour d’une fraîche vallée semée d’habitations gracieuses, et dont la tête, s’enfonçant entre deux rangées de hauteurs, allait se perdre dans la pénombre des montagnes.

À l’orient le château d’Ebelsberg montre ses tours de funèbre mémoire, et au delà les Alpes de Styrie détachent sur le ciel les dentelures de leurs cimes neigeuses.

Le Strudel.

Au-dessous, le fleuve, échappé furieux de la gorge étroite où il coule depuis Aschach, s’épand en un large et tranquille bassin du milieu duquel s’élève une île presque ronde et que traverse un long pont de bois. La ville a donc devant elle un lac aux golfes profonds et aux îles verdoyantes. Elle-même descend du haut des cinq ou six collines qui la portent, comme une naïade nonchalamment étendue qui baigne ses pieds au fleuve.

Cet ensemble magnifique présente l’aspect d’un cirque immense préparé pour une fête ou une bataille. La fête, en ce moment, le soleil la faisait. Ses derniers rayons semaient de larges plaques d’argent la surface du lac et rebondissaient en chaude lumière sur le flanc et la crête des montagnes qu’ils doraient, tandis que déjà dans les bas-fonds roulaient lourdement des ombres bleuâtres qui allaient s’élever et s’étendre comme un linceul sur cette belle nature, à qui son époux et son maître donnait, par une dernière caresse, l’adieu du soir.

Depuis Ratisbonne, le Bœhmerwald a obligé le Danube à s’infléchir au sud-est ; à partir de Lintz, cette direction change : le fleuve court droit à l’orient et remonte même vers le nord jusqu’à Krems, où il reprend sa direction première pour se retrouver, à Vienne, à peu près sous le parallèle de Lintz. La belle partie de ce trajet commence à Grein, une des plus pauvres villes de la haute Autriche, mais une des plus charmantes à cause de sa situation sur une masse rocheuse qui borde la rive[1]. Le Danube s’y enferme de nouveau dans une gorge étroite formée des deux côtés par les montagnes

  1. Ces rochers descendent jusque dans le fleuve et y forment un rapide, le Greiner Schwall, qui exige déjà de la précaution de la part des bateliers. Le fleuve, en cet endroit, est encore à six cent quatre-vingt-dix-huit pieds viennois au-dessus du niveau de la mer, ou deux cent vingt mètres cinq centimètres.