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et V. Sitôt qu’un pharaon montait au trône, il songeait à son tombeau ; sa mort arrêtait la percée souterraine ; si bien qu’on peut mesurer l’importance du règne à la profondeur de la tombe.

Nous avions accompli notre descente aux enfers, comme les héros épiques, et après une nuit pleine de rêves monstrueux à têtes de bélier et de taureau, nous traversions mélancoliquement le Nil pour regagner Louqsor, plus silencieux que les barques funéraires guidées autrefois par Isis et Nephtys.

La triple forme des dieux, tour à tour hommes, monstres et animaux ; les pintades, les éperviers, les vautours, le disque et les cornes, tous les attributs qui surchargent la coiffure d’Ammon ou d’Isis, les ornements et les subtilités du culte, disparaissaient à nos yeux, nous laissant voir le fond du symbolisme égyptien.

La complication, plus apparente que réelle, s’explique par la nécessité d’englober, dans la hiérarchie inventée à Thèbes durant la période théocratique, tous les génies locaux, toutes les superstitions primitives. La doctrine, en elle-même, est simple et trouve ses analogues dans l’Inde et la Grèce. Elle admet que le monde est sorti de la substance infinie et féconde, dont l’analogie fit une femme, une déesse, nommée Neith, ou Bouto, ou Isis, ou Hator, ou Tméi, selon qu’on la considérait comme primordiale, nourrice, éternelle, comme féconde ou conservatrice. Neith, femme et mère sans époux, fut d’abord pourvue des attributs des deux sexes ; puis l’homme, qui est ici-bas le chef de la famille, se lassant d’adorer une femme imposa pour époux et pour maître à la déesse suprême Ammon-Ra, qui était d’abord son fils. Ainsi la société humaine eut son type dans le ciel.

Médinet. — Cour de Rhamsès.

De l’union de Neith, le chaos des germes, avec Ammon, l’intelligence et le mouvement, naît l’ordre visible, le dieu Kons, troisième personne de la triade suprême, ou plutôt unique : la triade est la loi de la hiérarchie sacrée. C’est la filière uniforme où doivent passer tous les fétiches locaux, les héros et les idées divinisés. Les dieux n’étant que des synonymes ou des subdivisions les uns des autres, se combinent entre eux aisément, sans souci d’adultères ou d’incestes apparents. Il suffit, pour ne pas s’égarer dans le labyrinthe des triades secondaires, de ramener tous les dieux à l’emploi d’Ammon et de Kons, toutes les déesses au rôle de Neith-Bouto-Isis.

Tous les dieux sont tour à tour père et fils ; quant aux déesses, jusqu’à des temps assez rapprochés, elles demeurent toujours mères et ne sont jamais filles. L’Éternel Féminin reste immuable. C’est l’Aditi Védique, la Nuit primitive d’Orphée, la Terre d’Hésiode, le Possible d’Aristote, le fond nécessaire sans lequel les efforts du principe créateur se perdraient dans le vide.

Telle est, dans ses traits principaux, la théorie qui se cache au milieu des triades sans nombre, entremêlées, combinées deux à deux, trois à trois, et toujours identiques. On peut y rattacher sans peine l’appareil des cérémonies funèbres et la religion des hypogées. L’homme sorti de Neith, d’Isis, rentre en elle et devient son époux sous le nom d’Osiris ; et, suivant la loi naturelle des métamorphoses, il renaîtra du sein d’Isis, sous la forme d’Horus. La progression de la triade n’a pas été arrêtée par la mort ; elle reprend son cours indéfini et vient se résumer dans le mot sacré Hor-Ammon, qui symbolise l’union de l’Esprit céleste avec l’Esprit humain divinisé par son union avec l’éternelle Substance.

H. Cammas et A. Lefèvre.

(La fin à La prochaine livraison.)