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Les mœurs du clergé cusquénien sont douces et paisibles, et rappellent un peu celles des temps bibliques et des âges patriarcaux. La plupart d’entre eux ont des nièces dont la mère, qu’ils n’appellent jamais leur sœur, par égard pour la bienséance, remplit habituellement dans la maison l’office de ama de llaves ou de gouvernante. Quelques-uns recueillent une orpheline ou une pauvre jeune veuve dont ils adoptent les enfants. Ces œuvres pies, chez les bons prêtres de Cuzco, sont dictées par un pur amour du prochain, par l’horreur de l’isolement et par ce besoin inhérent aux belles natures de s’entourer d’affections vraies.

La sollicitude de ces ecclésiastiques pour les êtres qui les entourent est paternelle et tendre, et leur dévouement absolu. Non-seulement ils partagent avec eux tout ce qu’ils possèdent et pourvoient à tous leurs besoins, mais même à l’occasion ils s’imposent des privations et font des sacrifices pour leur donner le superflu. Un négociant a-t-il reçu de la côte du Pacifique quelque article de mode ou de nouveauté, bien vite le chanoine, si c’est un chanoine, ou le curé, si c’est un curé, fait part de la bonne nouvelle à sa famille d’adoption, et convient avec elle du jour où l’on ira voir l’article en question. Ce jour venu, la famille se met en marche. On arrive à la tienda du négociant, où le révérend entre seul pour examiner les étoffes et en débattre le prix. La veuve et ses enfants se tiennent l’écart ; il arrive parfois que le chanoine ou le curé, indécis dans le choix de deux étoffes de qualités distinctes et partant de prix diiférents, fait un signe de tête à sa protégée, qui s’avance timidement.

Un chanoine de mes amis, professeur de physique expérimentale.

« Que le parece a Ud. — Que vous en semble ? lui demande le révérend.

— Je suis en tout de l’avis de mon señor padre, » répond invariablement la veuve en montrant du doigt la plus belle et la plus chère des deux étoffes.

L’homme de Dieu fixe définitivement son choix, fait couper l’étoffe et confectionner le paquet, et le mettant sous son bras, dit gracieusement au marchand : « Je vous enverrai l’argent dans quelques minutes. » Presque, toujours ces minutes canoniales ou cléricales durent un an ou dix-huit mois ; il en est qui sont éternelles.

Paul Marcoy.

(La suite à la prochaine livraison.)