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Privés des avantages extérieurs qui distinguent les hommes d’Arequipa, les Cusqueños tendent de suppléer aux dons de la nature par les bénéfices de l’instruction. Tous étudient avec ardeur la théologie, la philosophie, le droit naturel et le droit des gens, le droit civil et le droit canon. Les sciences naturelles, les langues mortes et vivantes et les arts d’agrément leur paraissent indignes d’une éducation virile et ils les bannissent du programme de leurs études, comme le divin Platon bannissait de sa république les faiseurs de sonnets et de dithyrambes. L’éducation sérieuse qu’ils reçoivent ne fait qu’ajouter à la gravité de leur extérieur. Un Cusqueño érudit qui traverse la rue drapé dans son manteau, a l’air majestueux d’un doge allant aux épousailles de la mer. Les définitions subtiles dont il a meublé son esprit lui permettent de faire un choix dans la magistrature ou le barreau. Parfois il se voue à l’enseignement, mais le cas est rare. Généralement il préfère le rostre à la chaire. Il sait qu’un avocat peut prétendre à tout. Au Pérou on a vu des émules de Cicéron passer d’emblée généraux de brigade, puis maréchaux de camp et s’asseoir enfin dans le fauteuil de la présidence. De pareils exemples expliquent le nombre prodigieux d’avocats que l’on compte dans la ville. La plupart d’entre eux meurent il est vrai sans avoir plaidé une cause, par la raison que les causes sont aussi rares à Cuzco, que l’apparition des comètes ; mais ces avocats s’en consolent en pinçant de la guitare, en rimant des quatrains, en faisant de l’opposition à la chose publique ou en cultivant dans une chacara quelconque, le maïs, la luzerne et la pomme de terre.

Les établissements scientifiques de Cuzco jouissent d’une réputation justement méritée, dans toute la partie de la Sierra, comprise entre le quinzième degré et le dix-huitième. Son université Abbas Beari Antonii, fondée en 1692, a un chancelier, un recteur, un vice-recteur, un régent des études, un secrétaire, trois professeurs, un trésorier, deux massiers et un pongo faisant l’office de portier. On y enseigne la théologie, le droit canon et un peu de logique.

Le Collége des sciences et des arts, fondé ou plutôt remanié en 1825 par le général Simon Bolivar, portait au dix-huitième siècle le nom de San-Francisco de Borja, qu’il troqua contre celui de collége du Soleil. Simon Bolivar voulait en faire un foyer de lumières, digne de l’astre sous le patronage duquel il était placé, mais la modicité des rentes affectées à l’entretien de ce collége ne permit pas de réaliser les vastes plans du Libérateur. Néanmoins le programme des études actuelles est assez étendu pour satisfaire aux exigences des pères de famille. On y enseigne la religion, le castillan et le latin, la philosophie et l’orthologie, et les élèves y reçoivent, ajoute entre parenthèses le même programme, « des leçons de politesse et d’urbanité. »

Une institution de jeunes filles qui porte le nom de Las educandas del Cuzco, est célèbre à plus de vingt lieues à la ronde. Chaque année, les élèves soutiennent devant un public enthousiaste et des parents ravis, de brillants examens sur le catéchisme, l’arithmétique et la couture. La rente affectée par le gouvernement à cet intéressant pensionnat est de quarante mille francs. Pour rappeler le souvenir du bienfaiteur et du bienfait, les jeunes filles sont vêtues aux couleurs péruviennes, robe blanche et mante ponceau.

L’imprimerie, bien qu’elle existât en Chine depuis un temps immémorial et en Europe depuis le milieu du quinzième siècle, n’a été introduite à Cuzco qu’en 1822. C’est au vice-roi La Serna que la ville du Soleil est redevable de ce progrès. Ce vice-roi obligé de quitter Lima, par suite de l’arrivée des troupes patriotes, vint se réfugier à Cuzco, emportant avec lui une presse volante à l’aide de laquelle il répandait sur la côte du Pacifique et dans la Sierra ses proclamations et ses manifestes. Quand le parti royaliste fut vaincu, La Serna s’enfuit précipitamment de Cuzco en y laissant sa presse, dont les Cusqueños s’emparèrent par droit de conquête. De 1824 jusqu’à nos jours, cette presse historique a imprimé tour à tour six journaux format in-8o, le Soleil, le Fantôme, l’Atalaya, le Citateur, l’Observateur, la Boussole, et la célèbre Grammaire castillane-latine du docteur Higinio, par demandes à l’encre bleue et par réponses à l’encre rouge.

Si nous ne disons rien de la bibliothèque et du musée de Cuzco, c’est par un sentiment des convenances que chacun appréciera. Il est des infortunes noblement supportées et sur lesquelles on peut s’apitoyer intérieurement, mais qu’il serait indélicat de révéler en public, surtout quand les institutions et les personnes qui en sont l’objet s’efforcent de leur mieux de lui en dérober la connaissance. Mentionnons seulement en passant quelques échantillons de céramique, disséminés dans le musée ou la chambre qui en tient lieu, quelques morceaux de minerai d’or et d’argent et deux effrayants barbouillages faits sur papier par M. Paul Marcoy, l’auteur de ces lignes, qui représentent, les barbouillages et non les lignes, deux Indiens Siriniris de la vallée de Marcapata.

Avec les établissements scientifiques que nous venons de mentionner, Cuzco possède encore des institutions utiles et philanthropiques, telles qu’un hôpital dit du Saint-Esprit, affecté aux hommes, et l’hospice de Saint-André dont nous avons déjà parlé, destiné aux femmes. Il y a bien encore un troisième hôpital, celui de San-Juan de Dios de Urquillos, mais comme il recevait peu de malades, ainsi que ses voisins les hôpitaux susdénommés, par la raison que l’Indien lorsqu’il se sent malade préfère généralement au lit de l’hospice, un peu de paille et un lambeau de couverture dans l’angle obscur d’une chicheria, trois moines et le prieur d’un ordre mendiant ont pris possession de cet hôpital de San-Juan de Dios et y engraissent de leur mieux à l’aide des dons des fidèles et d’une rente journalière de vingt-quatre sous, que le gouvernement fait à chacun d’eux.

Ajoutons à ces trois hospices, un hôtel des monnaies, un hôtel du trésor et un hôtel des postes. Dans ce dernier, à l’arrivée des courriers de Lima, de Puno et d’A-