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requipa qui a lieu chaque semaine, une liste nominative, collée à la muraille avec quatre pains à cacheter, apprend aux citadins, à défaut des facteurs inconnus à Cuzco, qu’une lettre à leur adresse les attend au bureau et leur sera délivrée moyennant trois réaux de port (environ deux francs dix centimes), si elle vient d’Arequipa, et trois réaux et demi, si elle vient de Lima.

L’Alameda ou promenade publique, dont la création est due au général José Miguel Medina, le préfet le plus sobre et le plus taciturne que nous ayons connu, est un endroit fort laid et fort maussade, où personne ne va, et que chacun évite avec le plus grand soin. À côté de cette promenade, il est un autre endroit, non moins laid et non moins maussade, mais où tout le monde se rend processionnellement. Ce dernier endroit est un cimetière, qui date de la même époque que l’Alameda. Il est divisé en compartiments ou chaque couvent a sa place. Des murs épais à trois rangs d’alvéoles sont affectés au bon public. Chaque mort est introduit la tête la première dans ce sépulcre en figure d’étui, séparé des vivants par quelques briques et du plâtre qu’on applique à la hâte, et reste livré à lui-même pendant la durée de l’éternité.

Filiacées du Sacsahuaman : Amaryllis aurea. — Crinum urceolatum. Pancratium recurvatum.

Les théâtres, les cirques, les gymnases et autres lieux propres à délasser l’esprit et le corps, sont complétement inconnus à Cuzco. Au nombre des plaisirs qu’y goûtent les deux sexes, il faut mettre en première ligne de petits bals intimes et clandestins, donnés par certaines familles à l’occasion de la fête d’un de leurs membres, ou du jour anniversaire d’une naissance. Seuls, les parents et les intimes sont admis à ces sortes de réunions qui commencent par un dîner prié où l’on boit beaucoup, se continuent par un enchaînement de contredanses à la francesa pendant lesquelles on boit beaucoup encore, et se terminent enfin, lorsqu’on a trop bu, par un piétinement frénétique et cadencé dans lequel se mêlent et se confondent les rangs, les âges et les sexes. Ce piétinement, appelé zapateo, du verbe zapatear (frapper avec le soulier), est la ronde finale du bal, le bouquet du feu d’artifice ; chaque danseur y déploie son reste de verve, y consacre ses dernières forces, et ne s’arrête que lorsque la fatigue et l’essoufflement le font tomber sur les genoux. Cette danse locale, dont il nous est arrivé de parler souvent, mais sans jamais en donner le rhythme et la mesure, est reproduite mélodiquement dans l’air qui suit[1]. Sur cinq ou six motifs de zapateo susurraient à notre oreille pendant que nous tracions lignes, nous avons saisi celui-ci comme on saisit au vol une mouche importune pour se débarrasser de son bourdonnement.

À ces divertissements de famille se rattachent d’autres plaisirs du genre tempéré, dont la musique et un peu d’eau-de-vie font tous les frais. Douze ou quinze personnes se réunissent dans une chambre haute. Sur un guéridon couvert d’une serviette sont placés, entre deux chandelles de suif, une bouteille de tafia et un petit verre. Une femme ou un homme renommé dans la société pour le timbre aigu de sa voix et son aptitude à filer des sons, s’assied sur le sofa, siége d’honneur, et reçoit des mains de la maîtresse de céans une guitare enjolivée à l’extrémité de son manche d’une cocarde de ruban bleue ou rose, qui réveille dans l’esprit de l’Européen des idées de patrie absente, en lui rappelant ces jambonneaux décorés de papier frisé, gloires de la charcuterie !

Paul Marcoy.

(La suite à une autre livraison.)



  1. Prestissimo.