Page:Le Tour du monde - 07.djvu/347

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un hurlement farouche. Alors nos gens jetèrent un peu de broussailles sur les braises du foyer, qui, s’enflammant aussitôt, lancèrent devant nous un jet rouge sur les oreilles et le poil hérissé de nos ennemis dont les yeux flamboyaient. Alors aussi, je donnai le signal de tirer, et notre décharge eut un effet terrible. Le hurlement qui suivit témoigna que nos balles avaient porté. Nos armes furent rechargées avec autant de célérité que possible. Les Kalkas nous avaient prévenus que les loups reviendraient. On les entendait gronder ; plusieurs, grièvement blessés, hurlaient encore, mais trop loin pour que nous pussions risquer une nouvelle décharge. On éteignit le feu et chacun resta tranquille.

Mais les loups ne nous laissèrent pas longtemps ignorer leurs intentions. Bientôt une grande agitation se manifesta parmi les chevaux ; nous découvrîmes que la bande s’était divisée et qu’elle dirigeait sur nos bêtes une double attaque, entre nous et le bord de l’eau. Les Kalkas et les Kalmoucks coururent aux chevaux en poussant les hauts cris, ce qui engagea les loups à reculer. Il devenait nécessaire de veiller sur les chevaux de trois côtés à la fois, car nous entendions nos féroces ennemis tout près de nous, et nos gens me prédisaient qu’ils allaient faire irruption, que les chevaux briseraient leurs liens, et que les loups pourraient alors les poursuivre à travers la steppe ; si cet accident arrivait, le matin nous trouverait sans chevaux ; ceux qui n’auraient pas succombé seraient dispersés au loin. Un Cosaque et un Kalmouck allèrent donc garder les approches de nos flancs, tandis que je veillais moi-même sur le front de notre camp. On ralluma du feu, que les Kalkas maintinrent toujours flambant, en y jetant des broussailles, ce qui nous permettait de voir nos sauvages agresseurs. Je pouvais distinguer leurs prunelles éclatantes se rapprochant de plus en plus de nous ; bientôt j’aperçus leurs ombres grisâtres se poussant l’une sur l’autre. En ce moment, plusieurs carabines retentirent à ma droite, et le sillon de lumière que leur explosion traça dans la nuit me permit de viser un loup que j’avais en flanc. J’envoyai mon second coup dans la bande, et plus d’un ennemi sans doute fut atteint, car un concert de hurlements s’éleva dans cette direction. Puis un silence absolu succéda à la fusillade, et l’on n’entendit plus que le hennissement des chevaux. Les Kalkas et les Kalmoucks m’assurèrent toutefois que les loups tenteraient une attaque nouvelle, et insistèrent pour que chacun continuât de veiller à son poste.

Pour surcroît de difficulté, nous n’avions plus que très-peu de broussailles, et il n’y en avait pas dans le voisinage, aussi n’était-ce qu’au moyen d’une surveillance de plus en plus vigilante que nous pouvions sauver nos chevaux. La nuit devenait épaisse ; on n’apercevait rien, même à une très-courte distance, sinon du côté du lac, ou l’on pouvait percevoir obscurément les objets sur l’eau, à travers une faible lueur. Nos regards avides et perçants scrutaient les alentours dans toutes les directions ; nulle part on ne pouvait voir ni entendre quoi que ce fût ayant apparence de loup.

Les Kalkas prétendaient que ces animaux attendaient que tout le monde reposât avant de tenter un effort contre les chevaux. Un certain laps de temps passa sans qu’ils fissent le moindre mouvement ; puis deux ou trois chevaux devinrent inquiets, et se mirent à tirer sur leurs liens et à hennir. Les nuages avaient disparu, les étoiles brillaient et réfléchissaient plus de lumière sur les eaux. On entendait un hurlement éloigné ; Tchuck-a-boi déclara qu’une nouvelle bande de loups arrivait. Quand ils furent très-près de nous, ceux qui avaient si tranquillement fait le guet en notre présence, commencèrent à gronder et à nous avertir qu’ils étaient là. Comme il était absolument nécessaire de nous procurer quelques broussailles, quatre de mes hommes allèrent le long des rives du lac. Deux étaient armés ; au bout de dix minutes ils revinrent, apportant chacun une brassée de bruyère. On ralluma les braises, et le combustible jeté dessus s’enflamma au moment où l’on en avait besoin. J’aperçus huit ou dix loups à quinze pas au plus et beaucoup d’autres en arrière. À l’instant je leur envoyai le contenu de mes deux canons de fusil ; mes gens m’imitèrent, et la bande affamée, poussant un hurlement d’effroi, décampa.

On tint du feu allumé quelque temps encore, mais personne ne fut dérangé de nouveau durant le reste de la nuit. À l’aube du jour, en parcourant le champ de bataille, on releva huit loups morts ; d’autres avaient été blessés, comme l’attestaient les traces de sang qu’ils avaient laissées sur le sable ; nos gens enlevèrent la peau des morts en guise de trophée. Les Kalkas m’apprirent que les loups détruisaient un grand nombre de leurs chevaux et de leurs autres bestiaux. On en trouve beaucoup dans l’ouest du pays, et, au dire de mes guides, ils devaient me causer plus d’un embarras dans le cours de mon voyage.

Deux jours plus tard, le désert nous ménagea une autre rencontre ; c’était un plateau nu, parsemé de nombreux spécimens d’agate et de chalcédoine d’une belle qualité, ainsi que plusieurs fragments de sardoine. Des éminences peu élevées d’une roche pourpre et noire étaient tachetées d’un rouge extrêmement vif. Cette roche est susceptible de recevoir un poli très-rare. Notre marche y était pénible, car des arêtes aiguës s’y dressaient sous les pieds des chevaux.

Ce n’est pas tout, ce sol de pierre fourmille de serpents ; ils vivent dans les crevasses de la roche : mais nous fûmes avertis de leur présence en voyant leur tête sortir dehors et en les entendant siffler sur notre passage. Quelques-uns s’enfuirent, plusieurs ne jugèrent pas à propos de bouger, et un grand nombre fnrenu coupés en deux par les lanières de nos fouets. Un homme qui serait forcé de prendre ses quartiers pour la nuit dans ces rochers, se trouverait aussitôt parmi des compagnons de lit désagréables. J’observai quatre variétés de ces reptiles : l’une noire, de trois à quatre pieds de long, et d’un peu plus d’un pouce de diamètre ; elle se compose d’individus très-agiles. Une seconde variété, d’une couleur grise ardoisée, a deux ou trois pieds de long et un dia-