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chasseur de renard, je lui recommande un temps de galop avec les Cosaques sur les plateaux de l’Asie centrale ; qu’il se fasse emporter par leurs chevaux, aussi impétueux que des chevaux de course, aussi agiles que des cerfs, menés à la bride, sans fouet, car il suffit d’un mot pour les modérer ou les précipiter ! J’ai souvent parcouru le pays avec ces nobles bêtes, sans que jamais une seule succombât à la tâche.

Ayant quitté Kopal pour me rendre à Semipolatinsk dans l’automne de 1850, nous voyagions dans un léger tarantas. Nous fûmes un jour conduits par des chevaux cosaques jusqu’à un aoul éloigné d’environ soixante verstes du dernier relais ; arrivés à cette station, nos guides nous quittèrent pour rejoindre, le lendemain, leur poste, et le chef de l’aoul nous donna des chevaux et une escorte de Kirghis, qui parvinrent, aidés par nos deux Cosaques, à atteler six coursiers à notre tarantas. L’un de nos deux hommes prit possession du siége et tint les rênes des deux limoniers ; quatre Kirghis montèrent les quatre chevaux de devant ; mais tous leurs efforts ne firent pas avancer le tarantas d’un pas.

Le vieux chef, furieux du contre-temps, fit ajouter six autres chevaux à l’attelage ; ces douze coursiers et les hommes qui les montaient faisaient un formidable contraste avec notre frêle véhicule ; mais le chef sentit qu’il y allait de son honneur, et fit flanquer les douze chevaux et les six postillons d’une double ligne de cavaliers. Quand le signal du départ fut donné, les chevaux se cabrèrent, les uns d’un côté, comme pour échapper aux cordes qui leur pressaient le flanc, les autres d’un autre ; on eût dit qu’ils s’entendaient pour briser en deux le tarantas ; inexprimable confusion ! Les chevaux de devant se retournèrent de notre côté comme pour nous demander de monter sur leur dos plutôt que de les assujettir à un joug si insolite. Après d’incroyables efforts, on les remit en ligne et ils finirent par s’élancer en avant au galop, aux cris de joie retentissants de leurs cavaliers non moins sauvages qu’eux.

Ravin et chute près de la caverne de Satan. — D’après Atkinson.

Ce fut une scène que je n’oublierai jamais. Nos guides, enthousiasmés, n’avaient pas le plus léger souci des heurts éprouvés par notre tarantas ; aussi était-ce pour nous une affaire très-sérieuse que de nous maintenir sur nos siéges. Nos chevaux rivalisaient d’ardeur comme dans un hippodrome, et, de fait, notre équipée ressemblait plus à une course qu’à un voyage. Après une heure de galop, ils commencèrent pourtant à s’apaiser, bien que, de temps à autre, l’un d’eux témoignât clairement le désir de s’échapper pour courir, libre, dans la plaine immense. Quand nous arrivâmes, à la nuit close, à la couchée, nos douze coursiers étaient blancs d’écume. Voilà ce que les Kirghis savent faire de chevaux qui n’ont jamais été attelés ; mais on conviendra qu’une promenade du genre de celle que nous venions de faire est trop dangereuse pour être agréable, et nous jugeâmes prudent de nous en tenir à cette première épreuve.

Si rapide qu’eût été notre course, il y eut un moment cependant où, pour notre sûreté, nous aurions voulu la précipiter encore ; comme nous passions au milieu d’un espace semé d’innombrables monticules de sable, nous en vîmes tout à coup une trentaine se soulever autour de nous, s’allonger en longues colonnes elliptiques, et glisser en tourbillonnant sur le sol du désert avec les sifflements et les contorsions de serpents gigantesques qui se seraient réveillés à notre approche. Ces trombes, car ce phénomène n’était pas autre chose, variaient en diamètre de six à huit mètres ; les plus petites avaient de vingt à trente pieds de haut, quelques-unes atteignaient cent pieds ; une enfin, qui abordait dans son tourbillon tout