précaire. Malgré son sabre, ses poignards, ses fanfaronnades et sa faconde italienne, il mérite l’estime et l’intérêt de ceux qui l’ont connu. L’autre Italien donnait des leçons au fils d’un marchand du bazar, qui le logeait et le nourrissait. « Ne faites pas attention à ce bonhomme, disait-il de son patron, c’est un rustre. » Le patron s’inclinait en signe d’assentiment.
On dit malheureux le sort des musulmans. C’est un paradoxe devenu pour nous vérité — en vieillissant. Si l’Orient était dévoré d’une activité pareille à la nôtre, s’il avait notre besoin de mouvement, une existence calme, solitaire, toujours enfermés entre quatre murailles blanches, serait en effet la pire des destinées : mais ne pas travailler, se cacher du soleil, fumer, passer du rêve à l’anéantissement, de la vie à la végétation, c’est le seul bonheur compris des Orientaux. Dans les harems, les femmes en jouissent comme leurs maris. Elles ont de moins qu’eux les soucis de la politique, les tracas que cause une nombreuse famille, la chance de se faire casser la tête à la guerre. Est-ce là ce qu’il faut envier ? Les femmes du peuple, les paysannes partagent les fatigues de leurs maris, travaillent aux champs, portent des fardeaux comme en France les paysannes et les femmes du peuple. Elles ne se conduisent ni mieux ni plus mal que chez nous. Là, comme ailleurs, il est facile d’être honnête, mais il faut avoir de quoi manger. Du fond des harems, les femmes gouvernent la Turquie et l’Orient. Leur rôle est celui du montreur de marionnettes : invisibles pour le public, elles font danser devant lui des pantins. Ce sont elles qui inspirent la haine de l’Europe, qui poussent aux massacres. Sans elles, l’Orient n’aurait jamais été fanatique.
Les cérémonies publiques ont, chez les chrétiens, un caractère particulier. Joie que l’on doit montrer aux mariages, douleur que l’on témoigne aux enterrements, tout est convenu d’avance et réglé comme la mise en scène d’un drame. J’ai dit que l’Orient était le pays des formules : il y a des phrases toutes faites pour parler à sa future, comme pour regretter son père ; on les récite tout d’une haleine, sans rien oublier, quand l’occasion s’en présente. Chose curieuse ! il n’est encore arrivé à personne de se tromper. Après le mariage, le fiancé vient chercher sa fiancée dans la maison paternelle, qu’il assiége pendant un assez long temps avec une troupe d’amis. Souvent il n’a pas plus envie de se marier que la jeune fille de rester demoiselle. Elle résiste néanmoins : on l’entraîne vers la demeure de son époux, où elle arrive sur un cheval richement harnaché. À la porte, on lui fait, sur les devoirs d’une bonne épouse, une leçon, dont elle profite rarement. Le marié passe le reste de la nuit à boire avec ses amis, la mariée à causer avec ses compagnes.