cinquante ans environ, assez bel homme, mais qui ne m’a pas paru fort intelligent. C’est un des chefs les plus puissants du Dahomey. Il porte le titre de javogan ou vice-roi, et les négociants doivent compter avec lui. Il nous reçut sous la varangue de l’une de ses cases, entouré de trois ou quatre familiers, qui nous donnèrent une idée de ce que nous devions voir plus tard, à la cour de Ghézo, en fait de basses servilités. Cette entrevue fut courte et peu intéressante ; il nous sembla que le javogan voyait d’un mauvais œil, je ne sais pour quelle raison, notre voyage auprès du roi.
Tandis que nous parcourions la ville, le directeur de la factorerie s’occupait activement des préparatifs de notre voyage. Prévenu de notre arrivée, Ghézo, monarque alors régnant sur le Dahomey, envoya à Wydah l’un de ses aides de camp (racadère) pour nous saluer et nous donner la route, car aucun étranger ne peut pénétrer dans l’intérieur sans l’expresse permission du roi. Cet officier arriva le 12 octobre, et présenta au capitaine Vallon la canne royale, insigne des fonctions dont il était chargé. C’est une des coutumes de ce pays, ou l’écriture est inconnue, que l’envoyé d’un roi ou d’un seigneur soit porteur d’un signe visible de la confiance de son maître. Le plus souvent c’est une canne plus ou moins élégante que le messager remet entre les mains de celui vers lequel il est envoyé, pendant qu’il s’acquitte auprès de lui de sa mission. Il la reprend ensuite, car c’est une sorte de passe-port qui lui assure partout où il passe le respect et l’obéissance due au souverain, et il la remet à son maître en lui rendant compte de l’exécution de ses ordres.
Trois cents hommes environ accompagnaient le messager royal : une centaine, armés de fusils de traite ou de vieux tromblons portugais à gueule évasée, devaient former notre escorte d’honneur ; les autres avaient pour destination de porter nos bagages, les cadeaux destinés au roi, et nous-mêmes.
Les bêtes de somme sont extrêmement rares dans le Dahomey. Le chameau y est inconnu, les chevaux n’y peuvent vivre, et les bœufs porteurs, si répandus sur le reste de la côte d’Afrique, y sont peu nombreux. C’est à dos d’homme que se font tous les transports, et c’est aussi pour les voyageurs la seule manière de parcourir un pays où il n’existe d’autre route que d’étroits sentiers tracés par les piétons. On se fait porter dans des hamacs de toile de coton, gréés à peu près comme ceux qui servent au couchage des matelots sur les bâtiments de l’État. Une longue tige de bambou est passée dans les boucles des extrémités du hamac ; ces boucles, arrêtées par des chevilles enfoncées dans le bâton à distance convenable, maintiennent le hamac tendu, et le voyageur est couché à son aise, défendu contre les ardeurs du soleil par une toile tendue au-dessus de lui comme une tente d’embarcation. Deux nègres suffisent pour porter ainsi un homme pendant plusieurs milles, mais comme nous avions une longue route à faire, et peu de temps à dépenser, chacun de nos hamacs était escorté d’un équipage de dix hommes se relayant tour à tour. On peut faire ainsi huit a dix lieues par jour le plus commodément du monde : les mouvements sont assez doux pour permettre de lire ou de dormir.
III
Le 13 octobre, vers trois heures du soir, tout notre monde était réuni dans la cour de la factorerie. Le directeur avait libéralement humecté le gosier de nos hommes et garni leurs poudrières ; aussi les cris de joie et les détonations faisaient-ils retentir les échos du vieux fort. Après maints commandements et une ample distribution de coups de canne, le racadère parvint à ranger ses hommes et à assigner à chacun ses fonctions et son poste. La moitié des soldats environ était à la tête de la colonne : nous venions ensuite portés dans nos hamacs et suivis du reste de l’escorte et des bagages. Quelques-uns des vieux canons du fort saluèrent notre départ de vingt et un coups que le Dialmath leur rendit de la rade. Le javogan de Wydah nous attendait à la porte du fort avec quelques-uns de ses officiers ; il nous accompagna jusqu’à la sortie de la ville, et prit congé de nous en priant le capitaine Vallon de faire connaître au roi toutes les marques d’attention dont il nous avait comblés pendant notre séjour à Wydah.
Nous suivîmes, en quittant cette ville, un joli sentier à travers une vaste plaine couverte de belles cultures de maïs, de manioc, d’ignames et de cotonniers. Des groupes de magnifiques palmiers à huile (eloïs guinensis) l’embellissent encore en le couvrant de leur ombre protectrice. Après deux heures de marche au milieu de ce joli paysage, nous arrivâmes au village de Xavi, ancienne résidence des traitants européens. Les habitants, prévenus par les cris et les détonations de notre escorte, étaient accourus en foule sur notre passage.
Nous mîmes un instant pied à terre pour recevoir les compliments des prêtresses ou féticheuses de Xavi, moins sauvages que leurs collègues masculins. Ces dames, au nombre de six, étaient ornées d’une grande profusion de colliers d’ambre et de corail, la poitrine nue, et la partie inférieure du corps couverte de pagnes de soie de couleurs éclatantes. C’étaient les prêtresses ou les épouses du serpent fétiche, car les deux sexes sont également employés au service de cette religion. À certaines époques de l’année, les vieilles prêtresses parcourent les rues du village, enlèvent les jeunes filles de huit à dix ans qu’elles rencontrent, et les conduisent dans leur habitation. Ces enfants subissent là un noviciat plus ou moins long, et, dès qu’elles sont nubiles, sont fiancées au serpent fétiche. Plus tard, quelques-unes finissent par se marier à de simples mortels, mais assez difficilement, parce que, conservant toujours quelque chose de leur caractère sacré, elles exigent de leurs maris une complète soumission. Deux d’entre elles nous adressèrent quelques mots dont je ne pus comprendre le sens, pendant que les quatre autres