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de burnous de laine blanche. Les chapelets qu’ils roulaient entre leurs doigts les faisaient facilement reconnaître pour mahométans, mais j’en fus réduit aux conjectures sur leur nationalité exacte, mon interprète n’entendant pas bien leur langue. Cependant, il m’a semblé comprendre qu’ils étaient venus de Tripoli ou de l’Égypte, et que ce n’était pas la première fois qu’ils faisaient ce voyage ; d’où l’on pourrait conclure qu’il n’est pas impossible de pénétrer par le Dahomey dans les grands marchés de l’intérieur, tels que Sackatou et Asben. Le chemin serait ainsi beaucoup plus court et moins dangereux que celui suivi par le docteur Barth et ses compagnons dans leur dernier voyage[1].

Dans la soirée, nous allâmes au palais faire déballer et ranger sous une galerie les présents destinés au roi. Ils consistaient en belles pièces de soieries et de damas broché d’or, en meubles de luxe, tables, fauteuils, glaces et cristaux, en boîtes de parfumerie et de confiseries, et en un grand nombre de lithographies coloriées, représentant les divers épisodes de la guerre d’Orient. Il y avait aussi le portrait de l’Empereur et de l’Impératrice, douze pavillons français en étamine, semblables à ceux des bâtiments de la flotte, et quatre drapeaux français aussi en soie à franges d’or, la hampe surmontée de l’aigle impériale, et timbrés, sur la bande blanche, de l’éléphant du Dahomey. Nous apportions encore, sur la demande expresse du roi, qui avait manifesté le désir de voir les fétiches des blancs, huit statues de saints, de demi-grandeur naturelle, en carton-pâte peint et doré, qui obtinrent un très-grand succès.

Le roi n’assista pas à cette exhibition, mais il y avait envoyé le méhou, le cambodé et le tolonou. Deux femmes, que nous revîmes plusieurs fois aux côtés du roi, s’y trouvèrent également. C’étaient de grandes négresses de vingt-cinq à trente ans, assez jolies de figure, avec de fort beaux yeux, mais d’un embonpoint tellement excessif qu’il approchait de la monstruosité. Nous leur fîmes présent de quelques boîtes de parfumerie et de confitures, mais elles s’enfuyaient en criant quand nous approchions d’elles. Quand elles eurent suffisamment examiné tous les cadeaux destinés au roi, et dont elles comptaient bien sans doute avoir leur part, elles se retirèrent et nous rentrâmes aussi chez nous.

Le 19, vers midi, le roi nous fit dire qu’il désirait nous recevoir en audience tout à fait particulière. Nous suivîmes immédiatement son messager, qui nous fit entrer au palais par une petite porte cachée sous de grands arbres au pied desquels était entassée une énorme quantité d’ossements d’éléphants. Le roi nous reçut dans la case d’une de ses favorites, entouré seulement de quelques personnes de son intimité, hommes et femmes, au nombre desquels se trouvait le méhou. Il nous accueillit très-gracieusement, en nous remerciant tout d’abord des présents que nous lui apportions, se fit expliquer l’usage des différents objets qui lui étaient inconnus, prenant soin d’en faire remarquer lui-même à son entourage la beauté et le prix. Les lithographies des diverses scènes de l’expédition de Crimée excitèrent vivement son attention, et, comme j’avais assisté à quelques-unes d’entre elles, je dus lui donner, d’après son désir, des explications détaillées. Il connaissait du reste le résultat de cette guerre, et savait, dit-il, que nous y avions joué un rôle beaucoup plus brillant que nos alliés les Anglais. Cependant il sembla comprendre difficilement quels en avaient été le motif et le but, car, pour lui, la guerre n’est qu’un moyen d’agrandissement territorial ou une occasion de pillage.

Tout en causant, il remarqua les décorations du capitaine Vallon, et lui demanda quelles étaient ces amulettes ou grigris.

« Ce sont, lui répondit-on, les récompenses que les monarques blancs décernent aux guerriers qui ont montré de la valeur dans les batailles.

— Moi aussi, répliqua-t-il, je donne à mes chefs les plus braves des marques de distinction. »

Il nous fit voir, en effet, au cou de quelques-uns des assistants, des plaques d’argent plus ou moins ornementées de ciselures et de découpures, soutenues par des chaînes de même métal. Il nous offrit même de nous donner à chacun une de ces plaques, et M. Vallon ayant dessiné une sorte de décoration avec l’éléphant du Dahomey au centre, il fut convenu que le roi le ferait exécuter par ses ouvriers, et nous l’enverrait avant notre départ. Mais soit oubli, soit pour tout autre motif, il ne tint pas sa promesse.

La conversation devint de plus en plus intime : il nous fit adresser mille questions sur le pays et les usages des blancs. La description sommaire de Paris et des grands ports de mer, le mouvement, l’ordre qui y règnent, le nombre et la dimension des maisons et des palais, les détails sur notre puissance militaire et maritime, semblèrent l’intéresser au plus haut point. Mais l’idée que nous essayâmes de lui donner des chemins de fer dépassait sans doute les limites de son intelligence ou de son imagination, car un sourire d’incrédulité parut sur ses lèvres quand il nous entendit lui dire qu’on pourrait, en trois heures, par ce moyen, transporter plusieurs milliers de soldats et de voyageurs à une distance égale à celle qui sépare Abomey de la mer. L’habitude de la polygamie est tellement dans les mœurs de ces peuples, qu’il ne put réprimer son hilarité, partagée du reste aussitôt par tous les assistants, hommes et femmes, en apprenant que l’Empereur des Français n’avait, comme tous ses sujets, qu’une seule femme. Le nom de l’Empereur lui rappela celui de Napoléon Ier, dont il connaissait la prodigieuse histoire, à cela près que, l’ayant apprise probablement de quelques Anglais, il croyait que le grand capitaine, fait prisonnier par les Anglais dans une dernière bataille, avait terminé chez eux sa glorieuse carrière dans la captivité. Il prit de là occasion de nous entretenir des agrandissements considérables que le royaume de Dahomey devait aux entreprises victorieuses de son prédécesseur et aux siennes. J’ai rapporté plus haut l’histoire de ces con-

  1. Voyez le Tour du monde, tome II, p. 193 à 240.