Page:Le Tour du monde - 08.djvu/115

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bamba, habitée alors par la nation Poque, à laquelle appartenait le cacique. Son premier soin, en arrivant, fut de dépêcher un messager aux tribus Pirahuas et Ayquis, ses alliées. Ce messager était porteur de quippus noirs et jaunes, qui racontaient la disgrâce du favori, les douleurs de l’amant, et concluaient par un appel aux armes. Le secours demandé ne se fit pas attendre. Deux jours après le retour du messager, dix mille Indiens, armés de lances et de frondes, occupaient les hauteurs du tampu, et n’attendaient que l’ordre d’Ollantay pour marcher sur Cuzco.

À la nouvelle de ces préparatifs de guerre, Tupac, tremblant pour la sûreté de son trône, allait envoyer au cacique rebelle des hérauts chargés de négocier un accommodement, quand un des généraux de l’empereur s’avisa, pour étouffer cette révolte naissante, d’un stratagème qui réussit à merveille. Ce cauteleux Indien, appelé Rumiñahui, franchit, par une nuit de lune, les murs du palais des Vierges et s’introduisit jusque dans la dernière cour du gynécée. Les prêtresses du Soleil, épouvantées de ce trait d’audace, ameutèrent par leurs cris les gardiens de nuit, qui s’emparèrent de Rumiñahui et le conduisirent devant le Villacumu ou grand prêtre, qui faisait aussi les fonctions de juge. La législation péruvienne punissait de mort quiconque avait osé pénétrer dans la demeure des Vierges du Soleil, et le châtiment atteignait le coupable jusqu’à la seconde génération. Quant à la femme, sa complicité une fois établie, les statuts de 1042 la condamnaient, comme les vestales romaines, à être enterrée vive. Rumiñahui, interrogé sur les motifs de ce sacrilége, répondit que la curiosité de voir de près les riches lambris de l’édifice l’avait poussé à en escalader les murs ; qu’au reste, n’ayant parlé à aucune des vierges, il ne pouvait sans injustice être condamné à mort. La sentence du profanateur fut commuée, en effet, en une flagellation publique, suivie de la dégradation de tous ses titres. Le lendemain de l’exécution, Rumiñahui disparaissait de Cuzco et allait se réfugier dans le tampu d’Ollantay, offrant à ce dernier de mettre en commun leur haine et leur vengeance.

Ollantay, informé de ce qui s’était passé par les intelligences qu’il entretenait dans la ville de Cuzco, reçut avec joie le fugitif, charmé d’avoir acquis un si puissant auxiliaire. Les deux bannis vécurent huit jours ensemble, dans une intimité touchante. Au bout de ce temps, Rumiñahui, mettant à profit la connaissance topographique qu’il avait acquise du tampu et la confiance que lui témoignait son hôte, ouvrit à l’Inca les portes de la forteresse, et lui livra Ollantay pieds et poings liés.

La vengeance de Tupac-Yupanqui fut noble et généreuse ; il réintégra le cacique rebelle dans ses anciennes dignités, et lui donna sa fille en mariage. Ollantay et Cusi-Coyllur eurent une fille, qui porta le nom d’Ima-Sumac. Quant à Rumiñahui, il n’est rien dit de la manière dont l’empereur Tupac, qu’il avait si bien servi, récompensa son dévouement infâme. Tout porte à croire que sa trahison fut oubliée au milieu de l’allégresse générale.

À cette chronique déjà trop longue, nous nous garderons d’ajouter la tragédie qu’elle inspira au poëte Antonio Valdez. Il suffira du titre de la pièce et de la désignation des personnages introduits par l’auteur dans cet acte en vers octosyllabiques, pour que le lecteur, avec la sagacité que nous lui supposons, flaire bien vite un de ces ours classiques, mal léchés et difformes, que les directeurs des théâtres repoussent impitoyablement, comme étant susceptibles de mettre leur public en fuite et d’apporter le désordre dans leurs finances.


LES RIGUEURS D’UN PÈRE
ET
LA GÉNÉROSITÉ D’UN ROI,
TRAGÉDIE EN UN ACTE, ENTREMÊLÉE DE CHANT, DE MUSIQUE ET DE DANSE.




Désignation des personnages.


PACHACUTEC, aïeul du roi régnant. PIQUI-CHAQUI, domestique de confiance
TUPAC-YUPANQUI, Inca régnant. CUSI-COYLLUR, infante, fille Tupac-Yupanqui.
OLLANTAY, général du district d’Antisuyu. IMA-SUMAC, jeune enfant, fille de Cusi-Coyllur et d’Ollantay.
RUMINAHUI, général du district d’Antisuyu. CCACCA-MAMA, 1re  vieille femme.
ORCCO-HUARANCCA, général. CCOYAC, 2e  vieille femme.
HUILCCAOMA, prêtre du Soleil. Un Indien de service de la tribu Canari.
HANCO-ALLIN-AUQUI, vieillard.
PITU-SALLA, jeune homme.
La scène se passe à Cuzco.


En achevant d’écrire le mot — Cuzco, — je me retournai pour voir si José Benito avait placé à ma portée le déjeuner dont je sentais que j’avais grand besoin ; mais je n’aperçus rien. Le mozo, tranquillement assis à quelques pas, tailladait avec son couteau l’écorce d’un morceau de bois.

« Eh ! mon déjeuner ! » lui criai-je.

Il se leva et alla prendre dans la sacoche aux provisions un petit pain rassis, et me l’apporta avec une boîte de confitures. Je mordis dans le pain et j’ouvris la boîte, comptant y trouver de ces fruits confits, dans la préparation desquels excellent les ménagères de Cuzco ; mais, au lieu des fruits attendus, je ne trouvai que leurs noyaux, leurs pepins et leurs queues, à demi submergés dans une mare de sirop. Sans penser à mal, je dis au mozo :

« Cette boîte est vide ; donnez-m’en une autre.

— Il n’y en a pas d’autre, me répondit-il.

— Comment, pas d’autre ? C’est là tout ce qu’on vous a donné pour moi à Urubamba ?

— C’est tout ce qu’on m’a remis pour monsieur, de la part de madame la sous-préfète. »

Je regardai José Benito dans le blanc des yeux, essayant de lire au fond de sa pensée. Évidemment, le drôle me mentait encore et se moquait de moi, bien que sa physionomie exprimât la candeur et la plus touchante innocence. Certes, doña Julia n’avait pu lui faire remettre, à titre de provisions de route, une boite de confitures à peu près vide. La déesse de Pintobamba était