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troublé par l’apparition de ses deux épouses, mais le mien fut calme et profond comme celui du juste, et je me réveillai au petit jour sans avoir changé de posture.

Fidèle à la consigne que je lui avais donnée la veille, mon guide m’attendait devant la porte. L’alcade alla chercher les mules et sella lui-même celle que je montais, pendant que Miguel harnachait la bête qui, après avoir servi à José Benito, allait lui servir à lui-même. Je pris congé de mon hôte et partis chargé de ses vœux pour mon bonheur futur.

Le soleil ne tarda pas à dépasser la chaîne des cerros qui forment à droite la borne naturelle de la vallée. Les touffes d’arbres et les buissons des escarpements, illuminés par ses premiers rayons, formaient, avec les anfractuosités de terrains encore plongés dans une ombre bleuâtre, des oppositions d’une grâce et d’une fraîcheur idéales. Entre deux croupes de montagnes boisées, reluisait comme un trait d’argent la rivière d’Occobamba descendue des hauteurs. Son murmure, mêlé à ces rumeurs confuses que le jour éveille dans la plaine ou dans les forêts, et qui sont comme l’hymne matutinal que la création chante au Créateur, ce murmure caressait doucement l’oreille et faisait passer dans l’esprit mille visions charmantes, mille choses ailées que la plume ou le pinceau est inhabile à retracer. Devant ces splendides tableaux de la nature, le véritable poëte sera toujours celui qui sentira le plus et qui exprimera le moins.

Métairie de Mayoc.

Après un certain temps de marche à travers des sites tantôt arides et tantôt décorés d’une maigre végétation, nous nous rapprochâmes de la rivière, qui coulait ou plutôt roulait dans la direction du nord-est sur un lit de cailloux qu’elle entre-choquait bruyamment. Nous la passâmes avec de l’eau jusqu’à la sangle de nos bêtes, bien que devant nous, à peu de distance, il se trouvât un pont destiné à faciliter le transit entre les deux rives. Mon guide, à qui je demandai pourquoi il préférait cette voie à l’autre, me répondit que les pieux du pont que j’apercevais étaient plus qu’à demi pourris, et qu’en passant dessus nous eussions couru le risque de le voir s’abîmer sous nous. Je remerciai vivement Miguel de l’intérêt qu’il portait à nos deux personnes ; une chute de quinze pieds, au milieu d’un courant rapide encombré de pierres, ayant un côté pittoresque, mais pouvant être dangereuse.

Le pays que nous traversions n’avait ni chemins ni sentiers apparents, et nous réglions notre marche sur le cours de la rivière, rasant la berge ou nous en écartant selon les accidents du site ou les mouvements du terrain. La végétation, presque nulle sur la rive gauche, du côté de Santa-Ana, n’offrait rien de bien remarquable sur la rive droite, du côté de Lares. Mais en voyage il faut sa-