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haine implacable. Déjà, pendant que le chérif fuyait de Laghouat, ce chef enlevait les troupeaux des tribus qu’il avait entraînées à sa suite. Non content de ce succès, Si-Hamza demanda à poursuivre encore Mohamed-Ben-Abdallah, dont la présence à Rouissat l’inquiétait. De brillants succès obtenus dans le sud des trois provinces de l’Algérie firent admettre ses demandes, et, en 1853, appuyé par des sorties françaises, notre khalifa se porta contre le chérif, le chassa de Rouissat, le battit complétement à Areg-bou-Seroual et le força à aller chercher refuge à Insalah, dans le Tidikelt, à cent soixante lieues sud-ouest d’Ouargla. Les casbah de Rouissat furent démolies, Ouargla fut proclamée ville française, l’antique royaume prit le nom d’Aghalik sous le commandement de Sid-Zoubir, frère de Si-Hamza, et l’impôt qui formait les revenus de l’ancienne couronne fut englobé dans celui du cercle de Géryville, cercle nouvellement fondé, en même temps que nos troupes s’installaient définitivement à Laghouat.

La création de Géryville et de Laghouat, en 1852, fut un coup d’audace. Jeter hardiment nos officiers des affaires arabes dans le désert, avec une poignée d’hommes, pour y réglementer des populations nombreuses, aguerries et d’une extrême mobilité, était une témérité. Cette témérité fut des plus heureuses. C’était le dernier appoint donné comme conviction dans notre force, comme témoignage de notre volonté bien arrêtée de faire de l’Algérie une terre française.

Honneur aux hommes de guerre et d’intelligence qui ont présidé et travaillé à cette extension de nos limites. L’occupation de Laghouat et les fondations de Géryville étaient le signal de la chute de la Kabylie, dont nous devions forcément avoir raison quelques années après, sous peine d’un contre-sens. C’était toute l’Algérie à nous, sans restriction, sans exception.

Mohamed-Ben-Abdallah détrôné, pourchassé, se réfugia, avons-nous dit, à Insalah, chef-lieu du groupe d’oasis du Tidikelt, à quinze journées d’Ouargla. L’ex-sultan se refit marabout, avec ce stoïcisme fataliste qui est l’apanage des vrais croyants de l’islamisme. Dévorant en silence ses douleurs et ses regrets, sa foi ne l’abandonna jamais. Épiant avec une patiente résignation toutes les occasions, il se tenait constamment en relations avec nos possessions par les caravanes, et se ménageait des intelligences de tous côtés, dans l’espoir d’une revanche.

Huit ans se passèrent ainsi à nous guetter. Pendant ce temps nos progrès ne ralentissaient point ; ces progrès eux-mêmes furent l’occasion attendue. Exploitant adroitement l’espèce d’inquiétude semée dans les populations du Touat, du Tidikelt et des Touaregs, par l’extension de notre conquête, par l’influence de nos officiers sur les populations nomades et quelques explorations lointaines qu’il représentait comme des reconnaissances précédant un envahissement prochain, il parvint à se faire écouter et à persuader à un certain nombre de fanatiques et d’aventuriers de venir nous menacer dans nos possessions. Huit années de paix à Ouargla étaient d’ailleurs un miracle. Les intrigues traditionnelles avaient repris leurs cours. Notre agha avait à lutter contre des tiraillements incessants ; son autorité, quoique reconnue et incontestée, trouvait sans cesse des résistances passives à surmonter. Des plaintes organisées contre l’agha d’Ouargla et son frère Si-Hamza avaient été portées à Alger par une réunion de brouillons mécontents. Si-Hamza, appelé pour répondre aux accusations portées contre son frère Sid-Zoubir, était mort subitement en arrivant à Alger, laissant comme héritier de sa puissance religieuse un jeune fils peu connu, jusque-là annulé par lui et auquel la voix publique refusait toutes les qualités nécessaires pour succéder à son père. Ce fils était Si-Bou-Beker, que quelques jours suffirent à grandir et à élever à la hauteur du rôle qui lui incombait.

Renseigné sur tous ces événements, sur toutes ces intrigues, Mohamed-Ben-Abdallah crut le moment opportun de réédifier sa fortune. Arrivant à la tête de quelques centaines d’hommes des Touaregs et du Touat, le marabout d’Insalah vint camper sous les murs d’Ouargla, après avoir recruté en route les Chambâa-hab-er-rih, tribu de pirates que l’on surnomme les Touaregs blancs, et qui dépendaient de l’aghalik. Cette première défection était déjà un succès. Les oasis de l’aghalik se hâtèrent de se ranger sous l’autorité de leur ancien sultan, qui fut de nouveau proclamé. Sans perdre de temps, Mohamed-Ben-Abdallah se hâta d’attaquer nos tribus voisines pour tenir les promesses faites aux pillards qui le suivaient. Les troupeaux de nos tribus furent surpris, des pointes heureuses dans toutes les directions produisirent un butin considérable et compromirent gravement la fidélité de nos nomades, toujours disposés à se ranger du côté du plus fort. Cependant quelques combats livrés contre les goums de Laghouat et de Touggourt furent le signal d’un point d’arrêt dans sa marche vers le nord de nos possessions sahariennes. Les hommes qui l’accompagnaient se souciaient peu de lutter contre nos forces ; leur unique but, le pillage, était atteint, et ils songeaient à abriter le butin déjà fait. Se retirant sous Ouargla pour protéger ses prises et procéder au partage, le chérif se vit abandonné des Touaregs et des hommes du Touat après les parts faites. Au même instant on annonçait la marche de Si-Bou-Beker à la tête de forces considérables. Impuissant à retenir les Touaregs, Mohamed-Ben-Abdallah voulut fuir avec eux, mais les Chamhâa, qu’il avait compromis, le suppliaient de rester à leur tête et lui juraient fidélité. Toutefois, décidé à ne pas attendre Si-Bou-Beker dont il connaissait l’influence religieuse sur les Chamhâa eux-mêmes, il s’enfonça dans les sables au sud d’Ouargla. C’est là que Si-Bou-Beker et Sid-Lala, son oncle, le rejoignirent en suivant les traces laissées sur le sable par sa troupe, et le firent prisonnier, les armes à la main, après l’avoir bloqué pendant deux jours sur une dune de sable. Les Chambâa, après une résistance assez vive, demandèrent et obtinrent l’aman de notre jeune chef.

Si-Bou-Beker, victorieux, revint à Ouargla avec sa capture. Il trouva cette ville en proie à l’anarchie la plus complète et aux plus grands désordres. À la surexcita-