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Le reste de la journée se passa en promenades dans les jardins, visites aux koubbas voisines ; femmes et enfants avaient mis leurs plus fins haïks, tous les colliers et bracelets de leurs cassettes. Le soir, des offrandes religieuses, composées de couscous et de viande, furent faites à la mosquée pour les pauvres ; une diffa nous fut apportée, composée de couscous, moutons rôtis, dattes et gâteaux de miel ; nos prisonniers ne furent pas oubliés.

Après le repas du soir, les joueurs de flûte et de hautbois se mirent à l’œuvre, accompagnant les chanteurs en réputation de la colonne. Leur rhythme, plaintif et monotone fut bientôt interrompu par une musique infernale qui s’avançait vers notre camp. C’étaient les nègres et négresses de l’oasis qui venaient en grande pompe nous gratifier du spectacle de leurs danses. Leur orchestre se composait de tambourins et de grosses castagnettes en fer, dont l’horrible tapage suivait en mesure une psalmodie bizarre chantée par tout leur groupe. C’était un concert étrange ; chanteurs et orchestre dansaient en marchant. Les hommes, vêtus les uns de burnous blancs, les autres de haïks ou de habayas de couleur ; les femmes habillées de sayes bleues et de foulards rouges, s’escrimaient à qui mieux mieux. Les plus agiles bondissaient en faisant des contorsions et poussant des cris rauques. En voyant tous ces corps à tête noire s’agiter ainsi, on eût dit un ballet de damnés.

Le saut de l’Arouï. — Dessin de M. de Lajolais.

Après avoir visité successivement les tentes des principaux personnages pour y recueillir quelques douros, le groupe noir s’installa au milieu du camp, près d’un grand feu destiné à éclairer la scène. De nombreux spectateurs accourus vinrent former le cercle, au centre duquel les danses continuèrent jusque vers le milieu de la nuit, sans interruption. Les femmes surtout étaient infatigables. Parmi ces dernières, se trouvaient deux jeunes filles, jolies pour des négresses, et dont le manége de coquetterie nous amusa beaucoup. Excitées par les applaudissements et les encouragements qui se traduisaient presque toujours en libéralités, elles se livraient pour ainsi dire un assaut chorégraphique où les contorsions les plus hardies, les poses les plus voluptueuses succédaient aux plus fringantes minauderies, aux plus agaçantes chatteries. Habitués que nous étions à voir des nègres, nous trouvions de la beauté dans ces figures jeunes, à traits réguliers, qui montraient dans un sourire une rangée de perles, et dont les grands yeux blancs s’animaient d’éclairs, pendant que leurs corps souples et élégants se tordaient frémissants, comme dans un délire. Nos Arabes admiraient avec passion, nos jeunes peintres trouvaient que c’était… nature. Nos savants philosophaient sur la nature de la femme. Bref, cette journée de fête avait jeté dans le camp une animation qui contrastait avec la tristesse et les fatigues du voyage, et le lendemain nous retrouva tout joyeux encore de la veille.

Pendant les trois jours qui nous restaient à passer à Metlili, nous reçûmes la visite des djemâas du M’zab, qui avaient quelques menus litiges pendants avec les chambâas de Metlili et les gens de l’oasis, et qui profitèrent de l’occasion de notre présence pour régler tous les différends. Ces djemâas nous invitèrent à aller les visiter, ce que nous regrettâmes de ne pouvoir faire ; mais nous avions hâte de rentrer à Géryville.

Les chameaux fatigués que nous avions laissés en route, depuis Ouargla, étaient rentrés le lendemain de notre arrivée : nous les fîmes partir d’avance à petites journées. Ceux que nous avions laissés à Metlili à notre premier passage s’étaient remis de leurs fatigues ; aussi étions-nous en mesure pour nos transports d’eau.

Vue du ksar Brézina[1]. — Dessin de M. de Lajolais.

Notre départ eut lieu le 5 avril ; la route prescrite était celle de l’aller. Nous n’eûmes d’autre épisode remarquable qu’un furieux orage, le 6 avril, qui couvrit le sol de grêlons et nous permit de boire à la glace ce jour-là.

Depuis notre premier passage, quelques pluies étaient tombées ; l’Oued-Maïguen avait reverdi : aussi nos animaux purent-ils bien se repaître.

Après cinq jours de marche, nous arrivâmes au ksar d’El-Maia, petite oasis qui se trouve à quelques lieues à l’est de Tadjerouna, et sur laquelle nous nous dirigeâmes le dernier jour de notre marche, en suivant pour cela l’Oued-Maïguen.

Nous séjournâmes deux jours à El-Maia, comblés d’attentions par le caïd de Tadjerouna, qui nous apporta, entre autres choses, du pain et du vin de Laghouat. Il y avait un grand mois que nous ne mangions que du biscuit ; aussi le pain fut-il accueilli comme une précieuse friandise, et celui qui nous l’apportait avec des bénédictions.

À El-Maia, où nous ne restâmes que deux jours, le goum fut licencié, et nous ne gardâmes de nos transports que le strict nécessaire pour arriver à Géryville. Nous arrivions dans le pays des Djadje-Elma, c’est-à-dire des poules d’eau : c’est le nom que les Sahariens

  1. M. Couverchel n’a pas suivi, pendant les dernières journées, la même route que le convoi, ce qui explique comment les sites figurés aux pages 196 et 198 ne sont l’objet d’aucune mention dans le récit. Voy. la carte, p. 163.