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ans jusqu’aux fonds de vingt-quatre pieds d’eau. Il faut pour cela qu’elle atteigne en longueur un développement de deux mille cinq cents mètres. Il est également nécessaire de construire, dans le même espace de temps, une seconde jetée à l’est de la première. Cet ouvrage aura dix-huit cents mètres de longueur, pour assurer aux navires qui entreront dans le chenal formé par les deux jetées un fond de dix-huit pieds. Environ quatre cent cinquante mille mètres cubes de blocs de pierres devront être immergés pour former ses môles. La carrière du Mex, située à l’ouest d’Alexandrie et qui est en pleine exploitation, pourra fournir quatre-vingt-dix mille mètres cubes ; celle de Gebel-Géneffé, dans le désert, donnera le reste.

Port-Saïd a des ateliers nombreux et bien outillés pour la charpente, la fonte, les forges, l’ajustage des machines. Nous consacrons la matinée du dimanche à visiter la ville, peuplée de dix mille âmes, et les établissements dont je viens de parler. Le reste du jour est donné au repos. M. Bulwer en profite pour acheter un flamant que les visiteurs essayent vainement de faire parler, et qui répond à leurs avances par de grands coups de bec. Est-ce un symbole et un présage ?

Dragues au montage.

C’est à Damiette seulement que le diplomate anglais devait nous adresser un discours. Nous arrivons dans cette ville après quinze heures de navigation sur le lac Menzaleh. Heures de méditations sur le passé de l’Égypte, sur la race hébraïque qui fertilisa et gouverna jadis cette partie du pays, sur les villes détruites et les champs dont on cherche involontairement les traces à travers les eaux transparentes.

Nous sommes enfin arrivés au terme de notre voyage. Nous voici réunis autour de la table hospitalière de M. Voisin, ingénieur des ponts et chaussées, directeur des travaux de l’isthme. M. Bulwer se lève. Le plus profond silence s’établit. L’ambassadeur parle avec une éloquence rare, surtout chez un étranger ; il cherche le mot et le trouve. Il fait sourire, il laisse les esprits en suspens, il a des compliments pour tout le monde. Il s’assoit enfin, et l’on attend encore. On attendrait longtemps, si l’un de nos compagnons de voyage, M. le comte d’H***, ne prenait la parole à son tour. L’esprit abonde dans son speech ; les saillies, les traits inattendus naissent et se pressent sur ses lèvres. Il s’excuse surtout de n’avoir pas entendu ce que sir Henry n’a pu manquer de dire au sujet de la grande entreprise dont nous venons de visiter les travaux. Certainement une telle omission ne peut être attribuée qu’à la surdité dont l’orateur se déclare malheureusement affligé.

Les applaudissements éclatent et sir Henry répond ce qui suit : « Je ne suis pas de ceux qui croient que la parole a été donnée à l’homme pour dissimuler sa pensée ; mais je crois que le silence est quelquefois permis au diplomate pour ne pas exprimer la sienne. »

Interprétons ces paroles dans le sens le plus bienveillant, puisque nous en sommes réduits à l’interprétation. Qu’mporte au surplus ? L’entreprise du canal de Suez est assez forte pour marcher seule aujourd’hui. Reconnaissante pour ses amis, elle ne craint pas ses adversaires, et compte sur son triomphe prochain et définitif pour réjouir les uns et rallier les autres.

Paul Merruau.