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étangs : dans un espace dont on peut faire le tour en une journée, j’ai compté trente-six étangs, tous assez considérables. Le nombre des canaux de dérivation est prodigieux, et tous sont parfaitement entretenus. Les eaux sont une source de richesse pour le pays ; ce n’est pas qu’elles servent à l’agriculture (l’agriculture n’y existe pas), mais elles servent beaucoup aux mines : on emprunte à leur chute la force nécessaire pour épuiser les eaux d’infiltrations, pour extraire les minerais, enfin pour mettre en mouvement les machines qui aident à la descente et à la sortie des ouvriers. Ces eaux, après avoir été utilisées, sont conduites au jour par des galeries souterraines très-longues, très-dispendieuses à percer, mais qui rendent d’immenses services. L’une de ces galeries, qui date du commencement de ce siècle (Tiefe-Georg-Stollen), passe à 228 mètres au-dessous du sol de l’église de Clausthal ; elle a plus de 10 400 mètres de long, et a coûté 1 600 000 fr. Une autre, commencée en 1851, et qui sera achevée dans un an, se trouve à 115 mètres au-dessous de la première : elle aura un développement de 14 kilomètres. Tous ces travaux sont magnifiques. La dernière galerie porte bateaux sur une partie de sa longueur ; nous venons d’y faire aujourd’hui même une assez longue promenade. Quelle navigation pittoresque ! l’épaisse nuit, la clarté fumeuse des lampes, la subite apparition des rochers en saillie, qui ne sont éclairés qu’un court instant, le bruit sourd de l’eau sous la barque, tout cela forme un tableau frappant pour l’imagination.

Depuis longtemps l’aménagement des eaux dans le Harz, aussi bien à la surface du sol qu’à l’intérieur des mines, est un sujet d’admiration pour les hommes spéciaux.

C’est le conseil des mines qui a la haute main sur les travaux relatifs à l’économie des eaux. Il en est de même pour les forêts : les officiers chargés de la mise en valeur des forêts ne peuvent exporter aucun bois qu’après avoir satisfait aux demandes du conseil des mines, où ils ont quelques représentants, et après avoir fourni non-seulement aux usines, mais aux habitants même des villes de mine, la quantité qui leur est nécessaire pour la consommation de l’année. L’excédant seulement du bois abattu est exporté par flottage sur l’excédant des eaux que les mineurs ont jugé à propos de laisser aux rivières.

La haute direction en toutes choses appartient ainsi aux ingénieurs des mines. Comme d’ailleurs le but de l’exploitation est bien moins de verser de l’argent dans la caisse du prince que de faire vivre de son travail une population qui ne trouverait aucune ressource dans la culture du sol, on n’a pas reculé devant des travaux immenses, dont l’exécution devait durer de longues années et qui n’auraient jamais été accessibles à des compagnies intéressées, désireuses de rentrer le plus vite possible dans leurs déboursés. Aussi est-ce à juste titre qu’au point de vue de l’art, mais non de l’économie, le Harz passe pour le pays classique des travaux de mines.


Clausthal, 26 juillet.

La bonne ville de Clausthal est toute en émoi à l’occasion du Schützenfest. Le Schützenfest (Fête des tireurs) est, comme vous savez, la fête nationale allemande ; elle donne lieu partout à des démonstrations patriotiques.

Clausthal ne s’est pas mise beaucoup en frais : les belles harangues, les chants en l’honneur de la liberté et de l’unité de l’Allemagne, qui ont retenti à Francfort, n’ont eu ici d’écho que dans une réunion fort bruyante des élèves de l’École des Mines, et dans une chanson belliqueuse, apprise par cœur à l’avance, et qu’ils ont récitée en séance solennelle. Cette chanson remplissait, si vous le voulez bien, trois bonnes pages d’impression fine et serrée : l’auteur n’est pas Allemand pour rien. Afin de se conformer à une invitation du poëte, et de terminer la séance par un acte d’héroïsme, tous les étudiants ont bravement dégainé leurs rapières et transpercé leurs couvre-chefs. On les voit aujourd’hui se promener très-fiers du trou que chacun porte à son chapeau.

Le Schützenfest dure huit jours. Jusqu’à présent son seul bénéfice avait été de nous faire écorcher les oreilles par les instruments en cuivre des musiciens mendiants, qui assiégent successivement toutes les maisons de la ville ; hier enfin nous avons assisté à un grand concert donné pour l’aristocratie de l’endroit, — à soixante centimes par tête. Nous y avons entendu une musique plus que médiocre, c’est vrai ; mais la fête n’a pas été sans agrément pour nous : nous y avons vu défiler la plus belle partie de la population, et surtout nous y avons fait connaissance avec quelques élèves de l’École des Mines, ce dont nous sommes fort aises, car cela nous permettra de causer un peu désormais avec les Allemands ; et les occasions de le faire, autrement que sur des points spéciaux du métier, ne sont pas pour des étrangers aussi faciles à trouver qu’on pourrait le croire, à moins qu’on n’ait le courage d’obliger un voisin de table à vous écouter ânonner en mauvais allemand !

Pendant les huit jours de fête, près du tir à la cible, où s’escriment les Schützen, s’étaient établies toutes sortes de boutiques : marchands de vaisselles, de poteries, de gâteaux et bonbons, etc. ; des théâtres ambulants, où l’on montrait des femmes géantes et des autruches, le tout à la mode de Paris, comme dans toute foire possible ; mais par bonheur au milieu de la même place se dressait un théâtre de Polichinelle, et chaque soir nous allions au spectacle pour nous former à comprendre le dialogue ; ce n’était pas sans difficulté, car messire Polichinelle parlait à moitié patois, ou platt Deutsch, et malgré ses gestes très-bien faits, malgré l’attention que nous y mettions, nous ne démêlions pas grand-chose à tout ce qu’il disait.

Hier soir, après le concert de la noblesse, a eu lieu un grand bal bourgeois, auquel nous n’avons pas manqué de prendre part. Le bal se donnait dans une vaste salle, construite pour l’occasion, tout entière en bois de sapin, décorée de guirlandes de feuillage et éclairée par un très-modeste nombre de bougies. Près