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on ne s’engage pas sans danger. — Traversant alors la Bode, on grimpe par un escalier de onze cents marches sur un escarpement qui fait presque vis-à-vis à la Rosstrappe, l’Hexen-tanz-platz (place de danse des sorcières), d’où l’on domine d’un côté l’âpre paysage de la Bode, et de l’autre, sans faire un pas, la vaste plaine qui s’étend vers l’ouest. C’est là un caractère particulier aux sites les plus remarquables de l’Unterharz, de présenter à la vue, à côté des rochers abrupts ou des forêts de sapins échelonnés sur des pentes roides, les immenses plaines prussiennes qui leur succèdent immédiatement.

Nous avons encore joui d’un vaste horizon du haut du Stufenberg, au-dessus de Gernrode ; et déjà nous étions dans le duché d’Anhalt-Bernburg. C’est chose amusante d’observer combien de fois on change de pays quand on se promène dans le Harz ; les territoires de Hanovre, Brunswick, Prusse, Anhalt, se croisent et s’enchevêtrent si bien, qu’à tout instant on passe de l’un dans l’autre ; mais on prétend que cet état de choses ne durera pas longtemps…

Le duché d’Anhalt, presque d’un bout à l’autre, est une jolie promenade. Les routes y sont bien entretenues, les forêts plantées de main d’homme, avec toutes les essences de bois de nos pays. Il semble qu’on traverse un jardin anglais depuis le Stufenberg jusqu’au Mägdesprung, et jusqu’à Alexisbad, petite ville de bains fort agréable, bien qu’un peu trop encaissée par les montagnes voisines.

À partir d’Alexisbad, nous avons entièrement quitté la portion du Harz ordinairement visitée par les touristes ; nous avons traversé les plateaux monotones qui séparent Alexisbad de Hasselfelde ; puis nous sommes redescendus dans la vallée d’Ilfeld, dont l’aspect souriant nous a charmés (malgré la pluie) ; et, certes, elle mériterait bien d’être plus souvent un but d’excursion ; mais les longues et ennuyeuses plaines qu’il faut traverser pour l’atteindre en détournent presque tous les voyageurs.

D’Ilfeld nous sommes revenus à Clausthal par Rothesütte, Hohegeiss et Braunlage. Nous garderons longtemps souvenir de la scène que nous avons eue à Rothesütte : notre brave hôtesse, après nous avoir servi un excellent fromage, son unique richesse, se mit à causer avec nous ; et, voyant qu’un de nos compagnons ne savait pas l’allemand, elle ne s’adressa plus à lui, espérant mieux se faire comprendre en élevant beaucoup le diapason de sa voix : tout le monde a pu remarquer combien cette illusion est commune. Nos fous rires aidant, sa voix s’enflait de plus en plus, et elle était à la fin devenue si formidable que nous-mêmes ne pouvions plus nous entendre.


Ocker (Brunswick) près Goslar (Hanovre), 16 août.

Nous sommes à Ocker depuis deux jours et nous y jouissons d’une température caniculaire. Le soir, le ciel est sillonné d’éclairs ; le jour, on a toutes les peines du monde à se décider à sortir. Nous avons cependant pris la peine et le temps de remonter le torrent, qui passe ici, et qui a donné son nom à la ville et à la vallée, l’Ocker, dont les bords sont vraiment très-jolis. C’est la première fois que je trouve dans le Harz un paysage qui rappelle aussi bien les Pyrénées, avec ses cimes accidentées, son eau blanchie d’écume et ses sapins sur des pentes rapides qui descendent jusqu’au lit du torrent.

On s’aperçoit bien aux mœurs des habitants que l’on est encore dans le Harz. Partout l’accueil est hospitalier et complaisant. On serre la main aux maîtres d’usines qu’on vient de voir pour la première fois, on serre la main à l’aubergiste, on joue du piano avec sa fille, et peu s’en faut qu’on ne lui serre aussi la main, comme à une vieille connaissance.


Dimanche, 17 août.

Nous avons visité aujourd’hui les jolis environs de Harzburg. Nous y avons passé plusieurs heures sous la pluie à chercher une roche rare, le Schillerfels, qui n’existe au monde qu’en ce seul lieu, et dont nous avons fini par trouver des échantillons passables : nous revenons donc tout fiers encore de notre expédition.

Demain soir nous devons retourner à Harzburg, mais cette fois pour ne plus revenir sur nos pas. Nous disons décidément adieu au Harz : auparavant, nous avons encore à faire dans la journée une visite d’usine, et à voir le matin la fameuse mine du Rammelsberg, célèbre par sa richesse, par les allures toutes spéciales et le nombre des minerais qui s’y rencontrent, enfin par son ancienneté ; car on a des preuves de son exploitation au milieu du dixième siècle, tandis que les mines d’Andréasberg, qui sont, je crois, les plus anciennes après elles, n’ont été ouvertes qu’en 1520.

Je veux aujourd’hui, avant de quitter le pays, vous parler un peu de l’organisation générale des mines du Harz, qui me paraît très-intéressante, à cause de la grande différence qu’elle offre avec celle de nos mines de France.

Je commencerai par l’Oberharz qui appartient tout entier au Hanovre.

Je ne sais si j’ai suffisamment insisté sur l’importance qu’on attache aux mines dans ce pays : c’est à ce point que le fonctionnaire chargé de leur direction est en même temps préposé à l’administration publique. Le Berg-Hauptmann réunit en effet, à la présidence du conseil des mines, les attributions d’une sorte de préfet. Il règle avec son conseil la marche des travaux pour les mines, les usines, les canaux, les chaussées, et il est en même temps chargé de faire exécuter les règlements du Harz, qui s’écartent en quelques points de la législation du reste du royaume, pour se mieux adapter à l’exploitation ; enfin il rend la justice dans quelques cas spéciaux.

Toutes les usines à plomb, cuivre et argent appartiennent en propre à l’État. Quant aux mines, elles sont exploitées par des ingénieurs de l’État, recevant tous di-