promenade d’hiver ou au retour qu’il écrivit une poésie un peu vague dont voici un fragment[1] :
« Semblable au vautour, qui, sur les pesantes nuées du matin reposant son aile légère, épie sa proie, que ma chanson plane dans les airs !…
« Dans le hallier sombre se presse le gibier sauvage, et, avec les bruants, les hérons se sont depuis longtemps plongés dans leurs marais…
« Mais qui vois-je à l’écart ? Sa trace se perd dans le fourré ; derrière lui les buissons agitent leurs branches, le garou se relève, la solitude l’engloutit.
« Ah ! comment guérir les douleurs de celui pour qui le baume est devenu un poison ; qui, dans les flots de l’amour, s’est abreuvé de misanthropie ! Méprisé des hommes, qu’il méprise à son tour, il dévore secrètement son génie dans un égoïsme insatiable.
« S’il est sur ta lyre, ô père de l’amour, des sons accessibles à son oreille, apaise son cœur ! Découvre à son regard enveloppé de nuages les mille sources qui jaillissent dans le désert auprès de l’homme altéré…
« … Enveloppe le solitaire dans tes nuages dorés, et en attendant que la rose refleurisse, amour, couronne de feuilles hivernales l’humide chevelure de ton poëte !
« À la lueur de ton flambeau tu l’éclaires, la nuit, à travers les ruisseaux, dans les routes impraticables et les campagnes désertes ; avec l’aurore aux mille couleurs, tu souris à son âme ; avec la furieuse tempête, tu l’emportes sur les hauteurs ; les torrents de l’hiver se précipitent du rocher et répondent à ses cantiques ; — elle devient pour lui l’autel de la plus tendre reconnaissance, la tête neigeuse du sommet redouté, que les peuples crédules ont couronnée de rondes fantastiques.
« Montagne aux flancs inexplorés, tu te lèves mystérieuse et dévoilée sur le monde étonné, et tu contemples, des nuages, ses royaumes et leur gloire, où tu verses les flots que tes sœurs voisines épanchent de leurs veines. »
Une des scènes les plus fantastiques de Faust se passe dans le Harz, au-dessus des mines et au sommet du Brocken. Faust traverse les airs avec Satan :
Tiens-toi ferme au par de mon manteau. Voici, dans le centre, un sommet, d’où l’on voit avec étonnement Mammon resplendir dans la montagne[2].
Une lueur crépusculaire vacille tristement au fond des vallées ! elle se glisse jusqu’aux profondeurs des abîmes ! Là monte une fumée. Plus loin filent des exhalaisons malsaines. Ici brille une flamme au sein de vapeurs sombres ; puis elle jaillit comme une source. Ailleurs elle serpente en mille veines à travers la vallée. Là, dans cet étroit espace, près de nous, elle se rassemble tout à coup. Près de nous jaillissent des étincelles comme une pluie de sable d’or. Mais, regarde, dans toute la hauteur s’enflamment les parois des rochers.
Le seigneur Mammon n’éclaire-t-il pas magnifiquement le palais pour cette fête ? C”est un bonheur que tu aies vu ces choses ; je pressens déjà de turbulents convives.
Comme l’orage se déchaîne dans l’air ! avec quelle violence il frappe mes épaules !
Accroche-toi aux vieilles aspérités de la roche, sinon l’orage te précipitera dans le fond de ces abîmes. Un brouillard obscurcit la nuit. Entends les craquements dans les bois ! Les hibous s’envolent épouvantés. Entends éclater les colonnes des palais toujours verts, et les gémissements, le fracas des rameaux, le puissant murmure des tiges, les cris et les plaintes des racines ! Dans leur chute effroyable, confuse, les arbres se brisent les uns sur les autres, et, à travers les gouffres jonchés de débris, sifflent et mugissent dans les airs. Entends-tu ces voix sur la hauteur, au loin et dans le voisinage ? Oui, tout le long de la montagne un chant magique roule avec fureur.
Au Brocken montent les sorcières.
Le chanvre est jaune, le blé vert ;
Là s’assemble la grande troupe ;
Le seigneur Uriel trône sur la cime.
Ainsi l’on va par monts et vaux…
Par quel chemin arrives-tu ?
Par l’Ilsenstein. Là j’ai lorgné dans le nid du hibou. Il m’a fait des yeux !…
Va au diable ! Pourquoi courir si vite ?
Il m’a écorchée ! Vois donc la blessure !
La route est large, la route est longue :
Quelle est cette furieuse presse ?
La fourche pique, le balai gratte…
Nous rampons comme l’escargot avec sa maison :
Toutes les femmes sont devant ;
Car s’il s’agit d’aller chez le diable,
La femme a mille pas d’avance.
Nous n’y regardons pas de si près :
La femme le fait en mille pas ;
Mais, si fort qu’elle puisse courir,
L’homme le fait d’un bond.
Le vent se tait, l’étoile fuit,
La brume sombre s’arrête ;
Le mont magique, en bourdonnant,
Fait jaillir mille étincelles.
Arrête ! arrête !
Qui appelle là-bas de la caverne ?
Avec vous prenez-moi, prenez-moi ! Voici trois cents ans que je monte, et je ne puis atteindre le sommet.