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Les deux chœurs.

Le balai porte, le bâton aussi ;
La fourche porte, le bouc de même ;
Qui ne pourra s’élever aujourd’hui
Est à jamais un homme perdu !

. . . . . . . . . . . . . . . . . .


Quand nous serons autour du sommet,
Alors traînez-vous par terre,
Et couvrez la bruyère au loiu
De votre essaim de sorcières.

méphistophélès.

Cela presse et pousse ; cela murmure et cliquette ; cela siffle et remue ; cela passe et bavarde ; cela brille, étincelle, sent mauvais et brûle. Véritable élement de sorcières ! Tiens-moi ferme, autrement nous serons bientôt séparés !

(Le bal des sorciers et des sorcières commence sur le Brocken. Faust danse avec une jeune fille.)

méphistophélès.

Pourquoi laisses-tu partir la belle fille qui t’animait à la danse par de si jolis chants ?

faust.

Ah ! au milieu de son chant, une souris rouge s’est élancée de sa bouche.

méphistophélès.

Voilà bien de quoi s’effrayer ? On n’y prend pas garde. Il suffisait que la souris ne fût pas grosse…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

orchestre, pianissimo.

Les nuages, les vapeurs
Éclairent leurs cimes ;
Le vent caresse feuillage et roseaux,
Et tout vole en poussière.

J’avais relu cette scène avant de m’endormir, et toute ma nuit fut agitée des songes les plus fantastiques.

Le lendemain matin, je me fis réveiller vers deux heures. Les nuages couvraient comme la veille la vallée du côté d’Ilsenburg, le froid était vif et une lueur blafarde s’étendait sur tout le paysage environnant. Nous contournâmes la montagne pour revoir ces amas de pierres gigantesques que nous n’avions fait qu’entrevoir la veille. Après avoir parcouru une partie du chemin qui descend vers Schierke, nous arrivâmes au plateau principal au moment où les premières lueurs du soleil levant nous permirent de distinguer avec netteté les objets qui se trouvaient à une assez grande distance. Mon guide, qui depuis quelque temps marchait le nez au vent, regardant tantôt à droite, tantôt à gauche, m’entraîna tout à coup sur une élévation d’où j’eus le rare bonheur de contempler pendant quelques instants ce magnifique effet de mirage qu’on appelle le spectre du Broken (p. 77). L’effet en est saisissant. Un brouillard épais, nommé en allemand hoehen rauch, qui semblait sortir des nuages comme un immense rideau, s’éleva tout à coup à l’ouest de la montagne, un arc-en-ciel se forma, puis certaines formes indécises se dessinèrent ; c’était d’abord la grande tour de l’auberge qui s’y trouvait reproduite dans des proportions gigantesques, puis nos deux silhouettes plus vagues et moins correctes ; toutes ces ombres portées étaient entourées des couleurs de l’arc-en-ciel servant de cadre à ce tableau féerique. Quelques touristes qui se trouvaient à l’hôtel avaient vu, de leur fenêtre, apparaître l’astre à l’horizon, mais personne n’avait aperçu la grande scène qui se passait de l’autre côté de la montagne.

Vers midi, nous nous mîmes en route. Avant notre départ, mon guide avait, pour suivre une ancienne coutume, orné mon chapeau de l’anémone du Broken que les paysans appellent la fleur des sorcières.

La descente du Broken fut agréable et l’effet tout différent de la veille ; le temps était clair, ce qui nous permit de découvrir une grande étendue de pays. Plus tard nous traversâmes ces immenses forêts de sapins dans lesquelles se sont établis, depuis un temps immémorial, les charbonniers du Harz qui ont fourni les sujets d’une foule de légendes curieuses (voy. p. 60).

Nous passâmes la nuit à Harzbourg, et le lendemain soir nous fîmes notre entrée dans l’ancienne résidence des empereurs d’Allemagne.


VIII

Goslar. — Chapelle ; portail. — Ancien palais des empereurs. — Le Kaiserworth. — Palais du roi de Hanovre. — Excursion aux mines du Rammelsberg. — Aspect du pays. — Descente dans les mines ; leurs produits. — Effets de lumière à la sortie. — Travaux extérieurs. — Mines de Clausthal. — Mœurs des mineurs. — Vallée de l’Ocker. — Viennebourg. — Brunswick.

En entrant à Goslar, je fus pris d’un sentiment de tristesse que je ne pus m’expliquer. Cette impression ne m’a pas quitté pendant tout le séjour que j’y ai fait. Goslar n’a pas, à beaucoup près, l’animation et l’aspect hospitalier des autres villes du Harz. Mon hôte surtout n’avait point cette figure bienveillante qui rassure le voyageur, le met à l’aise et lui rappelle un peu le bien-être que l’on trouve dans la famille.

Je m’attendais à voir dans cette ville un ensemble de monuments curieux, mais je fus désappointé. De l’ancienne et splendide cathédrale démolie en 1820, il n’existe plus qu’une petite chapelle où l’on conserve quelques beaux vitraux, des sculptures en bois bien travaillées et un ancien monument dont on ignore l’origine et que l’on appelle l’autel de l’idole Crodo. Deux grands arbres cachent en partie un portail du onzième siècle et des bas-reliefs bien conservés. L’ancien palais des empereurs d’Allemagne est converti en magasin. Sur la place du Marché se trouvent l’hôtel de ville, édifice affreusement badigeonné, qui date du quinzième siècle, et l’ancienne maison des corporations, ou l’hôtel du Kaiserworth, nouvellement restaurée dans un goût déplorable. À l’angle de la place on remarque une grande et vilaine maison dont toute la façade est couverte en ardoises et sans la moindre ornementation ; des rideaux rouges éclatants garnissent les fenêtres, des domestiques en habits non moins éclatants attirent les regards des étrangers. C’est le palais du roi de Hanovre. Une musique militaire qui s’est installée près du perron entonne le God save the King, dans un mouvement de marche funèbre. Mon impression de tristesse augmente, et