Page:Le Tour du monde - 09.djvu/133

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— Parce que tout le monde le sait, » me répondit-il.

Je n’eus pas le temps de m’étonner d’être seul à ignorer une chose aussi simple, nous arrivions devant la Mission, longue et basse chaumière d’un aspect assez misérable, et le bruit de nos pas venait d’attirer quelqu’un sur le seuil. Ce quelqu’un était un individu d’une cinquantaine d’années, haut de taille, maigre de corps et de visage, avec des traits accentués, un teint blême et des cheveux plats. Il était vêtu d’une soutanelle en étoffe gros-bleu et coiffé d’un vaste sombrero en paille de latanier. Une voix secrète m’avertit que ce personnage était le moine Fray Astuto, et j’allais le comparer au Basile de Beaumarchais, si le regard qu’il me jeta ne m’eût rappelé le méditantis ictum obliquum du verrat d’Horace, s’apprêtant à découdre un ennemi.

Bien que ce regard coloré de pourpre et de feu par un reflet du soleil couchant, n’eût rien de sympathique ou même d’attrayant, je ne m’en émus pas, et mettant pied à terre, je saluai le personnage et m’informai à lui si Sa Révérence le P. Juan Bobo était à la Mission. Fray Bobo est de mes amis, ajoutai-je ; je l’ai connu à Cuzco, chez un de ses compatriotes où nous avons fait de joyeux dîners, et j’aurais été charmé de lui serrer la main.

Fray Bobo et Fray Astuto.

En m’entendant me réclamer de son collègue et parler de notre amitié née à table, au bruit des verres et au doux glouglou des flacons, comme l’eût pu faire un membre de l’Ancien Caveau, le révérend ébaucha un sourire et m’invita à entrer sous son toit pour m’y reposer un instant. Je le suivis, et comme, après m’être assis sur un banc qu’il me désigna, j’essuyais avec mon mouchoir mon front ruisselant de sueur, il m’offrit un verre de limonade que j’acceptai, et qu’il me prépara lui-même avec du sucre brut et le jus d’un citron. Pour opérer un mélange parfait du doux et de l’acide, il alla