Page:Le Tour du monde - 09.djvu/189

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rive, comme nous avions pu le faire jusqu’alors, nous donnait fort à réfléchir ; aussi fut-ce d’un air perplexe et presque en nous grattant l’oreille, que nous nous assîmes dans nos pirogues et nous abandonnâmes au courant.

La rivière, resserrée entre deux murailles de grès, était large à cet endroit de quelque cinquante mètres. À mesure que nous avançâmes, cet espace alla se rétrécissant. À une demi-lieue de Sibucuni, il n’avait guère plus de douze mètres. Là la double muraille s’affaissa brusquement.

Descente des rochers à Sibucuni.

Une digue d’écume, couronnée d’un léger brouillard qui vint barrer le lit de la rivière, nous signala l’approche du danger. Les yeux des sauvages étincelèrent. Ceux qui ramaient se courbèrent sur leur pagaye comme des jaguars prêts à s’élancer ; ceux qui gouvernaient se levèrent à demi, les narines gonflées, les cheveux au vent, assurant contre les flancs de la pirogue la rame qui leur servait de gouvernail. Il y eut un moment d’attente fiévreuse et d’anxiété terrible, pendant lequel nul ne put prévoir si nous réussirions à franchir ce rapide ou si nous serions engloutis par lui. Pareilles à de noires couleuvres, sveltes et agiles comme elles, nos pirogues s’étaient glissées dans le tourbillon d’écume où elles disparurent entièrement. Les plus déterminés d’entre nous avaient fermé les yeux. Quelques secondes s’écoulèrent ; puis un hourra des sauvages annonça l’issue de la lutte ; le rapide de Tunkini était dépassé.

Au delà de ce passage dangereux, la rivière se rétrécit encore et coula entre deux dikes de basalte qui prirent la place des grès ; les sommets de ces formations, couverts d’une végétation épaisse, se rattachaient l’un à l’autre par un réseau de lianes et de sarmenteuses qui formaient, à trente pieds d’élévation, un dôme de verdure impénétrable aux rayons du soleil. Nos yeux, éblouis