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notre monographie des Incas, lesquelles, à leur sortie de l’hémisphère nord, se démembrèrent et pendant une période qu’il serait difficile de déterminer, mais qui sous-entend plusieurs siècles, errèrent à travers le continent sud, stationnant au gré de leur caprice ou selon leur commodité et se déplaçant au fur et à mesure qu’un accroissement dans leur population entraînait l’appauvrissement du territoire qu’elles s’étaient choisi et partant la diminution de leurs moyens d’existence[1]. Tandis que l’avant-garde de ces hordes émigrantes atteignait la chaîne des Andes et prenait possession de ses hauts sommets, d’autres hordes venues à leur suite, longeaient les versants et le pied de la même chaîne, s’établissaient au bord des cours d’eau qui les sillonnent en tout sens et changeant de nature en changeant de climat, de troglodytes qu’elles avaient été jadis, elles devenaient ichtyophages. Il est probable que la nation des Antis fut du nombre de ces dernières ; mais aux premières, assurément, appartiennent l’antique nation des Collahuas[2], celle des Aymaras et les Quechuas qui leur succédèrent.

Présentation d’Indiens Chontaquiros sur la plage de Bitiricaya.

Jusqu’ici l’établissement des Quechuas sur les plateaux des Cordillères et celui des Antis au pied de la chaîne, n’expliquent en aucune façon la mutuelle ressemblance de ces indigènes, et malgré les types des deux nations intercalés dans notre texte, un lecteur peut nous objecter que ces nations séparées par une abrupte région d’une largeur de soixante lieues en moyenne, ont pu vivre pendant des siècles, comme elles vivent à cette heure, sans se réunir et sans se toucher et que leur ressemblance qui nous préoccupe est un simple effet du hasard. D’abord en ethnologie nous n’accordons rien au hasard, ensuite, que le lecteur qui croit sans réplique l’argument qu’il vient de nous décocher, suppose un instant avec nous, et la supposition n’a rien de gratuit, qu’au principe, c’est-à-dire à leur arrivée qui remonte à des temps plus reculés qu’on ne le croit généralement, Antis et Quechuas, au lieu de vivre séparés par la largeur des Andes, formaient une seule nation divisée en tribus et, comme nous, ce lecteur sera logiquement amené à croire que l’apparition des Fils du Soleil et la pression que le cercle de leurs conquêtes successivement agrandi exerça sur les nations voisines du siége de l’empire, pression qui refoula dans l’Est la nation des Masquès[3]

    semblables à celles du milieu dans lequel leurs ancêtres vécurent pendant des siècles et n’ayant jamais franchi dans leurs migrations les limites de l’hémisphère nord, ont pu garder plus fidèlement que les hordes errantes de leur famille, le caractère physique et certaines qualités morales de la race dont ils sont issus.

  1. Pour ces peuples auxquels la culture répugne plutôt qu’elle n’est inconnue, comme certains voyageurs l’ont insinué, les ressources matérielles de l’existence durent être jadis ce qu’elles sont encore aujourd’hui, l’objet d’une préoccupation constante et le but de mille expédients. De là ces démembrements de la nation en tribus, de la tribu en familles et ces déplacements périodiques, quand le gibier et le poisson deviennent rares sur le territoire qu’ils ont choisi. L’axiome politique diviser pour régner a dû prendre naissance chez ces naturels, qui, sans s’en douter, le mettent en pratique à chaque période d’un demi-siècle.
  2. Cette nation, une des plus anciennes du Haut-Mexique et que les historiens désignent par les noms d’Acolhues, Acolhuas, peuples de Culhua ou de Culhuacon, reparaît au Pérou plusieurs siècles avant l’établissement des Incas, sous le nom de Collas, Collahuas, Collahuinos, et enfin peuples du Collao (région des punas ou plateaux). Elle est l’aïeule de la nation Aymara-Quechua, et nous lui attribuons à tort ou à raison, l’érection des monuments du Collao, aujourd’hui en ruines ou rentrés en terre et dont ceux de Tiahuanacu sont l’échantillon le mieux conservé.
  3. Le territoire des Masquès ou Mascas et de leurs alliés les Chilquès (hodié Chilcas), était situé à douze lieues sud-sud-ouest de Cuzco, entre les provinces de Paruro et de Tinta. Chilcas et Mascas n’eurent qu’à suivre le cours de la rivière Apurimac, à partir du quatorzième degré jusqu’au dixième, pour atteindre la région du Pajonal et se soustraire à la domination des Incas. Jusqu’au dix-septième siècle, ils formèrent une des nombreuses tribus de la nation Antis ou Campas, parmi lesquelles les missionnaires recrutèrent des néophytes pour leurs missions des douze Apôtres et de la montagne du Sel (cerro de la Sal), qui comprenaient une cinquantaine de villages. Aujourd’hui que toutes ces tribus sont éteintes et qu’on en chercherait vainement la trace au bord des