faire périr moins glorieusement sous la glace ou sous une meule. Theuerdank devine enfin ses mauvaises intentions, et lui donne un grand coup de poing ganté dans l’œil. Furwittig s’esquive. Un sourire effleure les lèvres d’Ernhold.
Unfalo vient à son tour. Ce capitaine n’a qu’un modeste chapeau rond. Il s’insinue aussi dans l’amitié de Theuerdank et l’engage dans de nouveaux dangers. Il défie son courage et le fait sauter d’un rocher à un autre au-dessus d’un abîme ; il le conduit sous une avalanche, sous les bonds d’une énorme pierre ; il l’expose aux foudres du ciel, à des vents furieux, à des tournois où l’on ne combat pas courtoisement, et finalement à une explosion de poudre dans une chambre meublée comme au seizième siècle. Pour le coup, Theuerdank s’emporte et envoie Unfalo à tous les diables ses pareils.
Neidelhard (que pouvait-il bien avoir sur la tête ?), a une tâche plus difficile, venant le dernier. Les meilleurs stratagèmes sont épuisés. Aussi prend-il le parti de laisser de côté la flatterie et la ruse. Il va directement au but ; il fait attaquer Theuerdank par des troupes de soldats (des cuirassiers), puis par des assassins. De guerre lasse, il empoisonne ses plats. Theuerdank trouve ce dernier procédé tout à fait déloyal, et chasse Neidelhard.
Après tant d’aventures, on est soulagé de voir le héros arriver sain et sauf devant la jeune reine, vêtue d’une robe magnifiquement brochée d’or.
Elle l’accueille gracieusement, mais ne se hâte pas assez, au gré du lecteur, de le prendre pour époux. Cédant à des conseils dont elle ne soupçonne point la perfidie, elle ordonne un tournoi ou les conspirateurs espèrent bien faire périr cette fois le chevalier.
Naturellement Theuerdank est six fois vainqueur, et sa jeune fiancée pose en rougissant sur son front une couronne de lauriers.
Alors Ernhold, qui jusque-là est toujours resté simple témoin des hauts faits du héros, sort de son impassibilité idéale, et dénonce publiquement les crimes des trois capitaines, Furwittig, Unfalo et Neidelhard. Le premier a la tête tranchée ; le second est pendu ; le troisième est précipité du haut d’une tour dans une rivière. (Ces supplices remplissaient mon âme enfantine d’horreur. Je sautais d’ordinaire par-dessus ces trois gravures.)
On se croit arrivé à l’avant-dernière scène ; on espère qu’il n’y a plus qu’à célébrer les noces, et ce n’est pas sans un peu de déception qu’on est informé par la gravure suivante qu’Erenreich a résolu d’envoyer son fiancé combattre… qui ? les Turcs !
La dernière estampe, semblable à une apothéose, montre le Chevalier, au milieu d’une forêt, les pieds posés sur une roue formée de quatorze épées croisées. Ernhold regarde !
Bien des années après, il m’arriva de rencontrer à notre grande Bibliothèque de Paris, qui change si souvent de nom, un commentaire de ce merveilleux poëme composé dans le presbytère de Saint-Sebald. J’appris alors que le roi Romreich était Charles, duc de Bourgogne ; Erenreich, Marie, sa fille unique, et Theuerdank, Maximilien Ier, duc d’Autriche, dont Melchior Pfintzing avait été le conseiller.
Maximilien n’avait que dix-huit ans lorsqu’il épousa Marie de Bourgogne, et il est vrai qu’il y avait eu beaucoup d’obstacles à ce mariage. Marie l’aimait ; elle lui avait envoyé un anneau comme gage de sa foi. Cette princesse était belle, douce et bonne. Elle mourut, victime de sa pureté et de sa délicatesse extrêmes, à vingt-cinq ans.
Les témérités de Maximilien sont historiques. On montre, près d’Innsbruck, la paroi d’un rocher où il resta un jour entier suspendu au-dessus d’un abîme.