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L’église de Saint-Sebald est noire et de proportions qui n’ont rien d’imposant. Le style, mêlé de roman et de gothique, est indécis. Les deux tours surmontées de clochers, terminées vers la fin du quinzième siècle, ne s’élancent certes pas assez spirituellement pour faire naître l’idée de « flammes ou de doigts qui montrent le ciel. » Je me sens à peu près indifférent et froid. Mais je revois extérieurement avec intérêt le crucifix colossal en bronze, coulé, dit-on, en 1482, par les frères Stark. Dans le mur du chevet, s’ouvre une grotte assez profonde, où la scène de la Passion est représentée en plein relief : une lampe en pierre, artistement travaillée à jour, répandait autrefois pendant la nuit sa lumière tremblante sur toutes ces rudes images grises, vigoureusement taillées par Adam Krafft, en 1494. Près du corps de garde et de ses canons, un bas-relief du même artiste figure un jugement dernier.

Au nord, la porte des Mariées (Brautthür), œuvre de la fin du quinzième siècle, me retient quelques minutes attentif et diverti. De son ogive tombe en festons une sorte de riche dentelle de pierre. D’un côté est la statue de la Vierge, de l’autre, celle de saint Sebald portant un petit modèle de l’église. Au-dessous, sont rangées, à droite, les cinq vierges sages, à gauche, les cinq vierges folles. Ces figures de jeunes femmes ne manquent point d’agrément ; mais il ne faut pas les regarder de trop près : on s’apercevrait qu’elles se ressemblent toutes trait pour trait, et que le type, dix fois répété, est un peu lourd. Les draperies elles-mêmes sont trop rondes, et n’ont pas été assez délicatement fouillées. Mieux vaut s’en tenir à respectueuse distance, se redire mentalement la charmante parabole qu’elles évoquent dans la mémoire[1] et en tirer quelque peu de morale.

La Brautthür (porte des Mariées) à l’église de Saint-Sebald (quinzième siècle). — Dessin de Thérond d’après une photographie.

Combien d’entre nous ont oublié, étant jeunes, de remplir d’huile leur lampe ! Aussi n’est-ce pas un sujet d’étonnement s’ils ont tant de peine à éclairer leur marche et si, quand surviennent les événements obscurs, on les voit s’arrêter indécis, tournoyer sur eux-mêmes, ou revenir timidement en arrière.

La porte opposée à la Brautthür est ouverte : j’entre. La famille du gardien est réunie dans une des chapelles. Femmes, jeunes filles, enfants, m’ont l’air, en ce moment, d’y vaquer aux soins ordinaires du ménage.

J’avance jusqu’au milieu de la nef : rien ne ressemble moins que ce que je vois à l’intérieur d’un temple protestant. Les fonds d’or des triptyques ouverts rayonnent de toutes parts ; les autels sont ornés de crucifix, de flambeaux d’argent, de broderies et de fleurs ; les verrières diaprent les arceaux, les piliers et les dalles de longs rubans diaphanes, rouges, jaunes ou bleus. En quelque endroit que le regard se porte, il rencontre des bas-reliefs, des peintures, des ornements qui récréent les yeux et l’esprit : ce sanctuaire d’un culte réputé iconoclaste est un véritable musée. Tout catholique est obligé de rendre hommage à ce respect des protestants nurembergeois pour les images saintes. Parmi tant d’œuvres, quelques-unes attribuées à des maîtres, je ne puis hésiter, me sentant tout d’abord attiré invinciblement par la merveille de l’art nurembergeois, le tombeau de saint Sebald, composé, modelé, ciselé, coulé en bronze par Pierre Vischer et ses cinq fils, de 1506 à 1519.

Il faut que l’heure où les touristes ont l’habitude de visiter les églises ne soit pas encore sonnée. Le gardien ne me voit ni ne m’entend : il est tout occupé à nettoyer, à polir l’illustre tombeau, et n’y va pas de main morte : il frotte, brosse, frappe, essuie, grimpe, saute

  1. Tous nos lecteurs ont-ils les Évangiles à portée de leur main ? On a quelque raison d’en douter, et on ne s’étonnerait pas si plusieurs d’entre eux n’avaient pas relu la parabole des dix vierges depuis leur enfance.

    « Les dix vierges, ayant pris leurs lampes, s’en allèrent au-devant de l’Époux. Il y en avait cinq d’entre elles qui étaient folles (étourdies, légères de raison), et cinq qui étaient sages (prévoyantes). Les cinq folles, ayant pris leurs lampes, ne prirent point d’huile avec elles. Les sages, au contraire, prirent de l’huile dans leurs vases avec leurs lampes. Et comme l’Époux tardait à venir, elles s’assoupirent toutes, et s’endormirent. Mais, sur le minuit, on entendit un grand cri : « Voici l’Époux qui vient, allez au-devant de lui. » Aussitôt toutes ces vierges se levèrent et accommodèrent leurs lampes. Mais les folles dirent aux sages : « Donnez-nous de votre huile, parce que nos lampes s’éteignent. » Les sages leur répondirent : « De peur que ce que nous en avons ne suffise pas